Asma LAMRABET

Le jeûne : mémoire spirituelle de l’humanité…

On jeûne depuis la nuit des temps…L’histoire de l’humanité est imprégnée par cette approche spirituelle considérée dans toutes les cultures comme une forme  de purification interne structurelle à toute croyance. Jeûner fait partie des rituels sacrés ou culturels qui depuis toujours ont rythmé l’histoire de la civilisation humaine.

Le jeûne a toujours été l’expression d’une conviction, d’une rupture, d’un choix ou d’une subversion…Des prophètes aux moines, de l’érudit ascète au sage soufi en passant par Mahtama Ghandi, jeûner c’est affirmer la force intérieure du dépouillement de soi et c’est forger une discipline dépuratrice de l’âme et du corps.

Aussi bien dans les rites d’initiation des Indiens d’Amérique  que dans le Bouddhisme ou l’Hindouisme et de façon très variable,  le jeûne a toujours été considéré comme une pratique favorable à la méditation et à l’épanouissement individuel.

Les vertus thérapeutiques du jeûne sont aussi reconnues depuis l’Antiquité, où  les prêtres du temple du dieu guérisseur « Asclépios » préconisaient le jeûne aux patients réfractaires aux traitements traditionnels tout en l’associant à la prière. C’est ce qui est aujourd’hui repris par les adeptes modernes du « jeûne thérapeutique » qui vantent les effets positifs du jeûne, scientifiquement prouvés,  sur de nombreuses pathologies.

Au sein des monothéismes, le jeûne est vécu différemment selon sa croyance et selon un rituel réapproprié,  mais les finalités restent incroyablement les mêmes… Dans toutes les religions on jeûne pour se purifier, s’élever spirituellement ou faire pénitence. Le jeûne, dans cette perspective de croyance s’allie ainsi avec la retenue de la parole, l’assiduité  de la prière  et l’ascèse de la chasteté.  Les trois monothéismes ont associé étroitement le jeûne, la prière et le partage avec les plus démunis.

C’est ainsi que la Bible évoque l’expérience  de Moïse qui durant quarante jours de jeûne et de prière s’apprête à recevoir de Dieu la Torah. Plusieurs textes montrent la communauté israélite jeûnant pour prévenir ou mettre fin à une calamité ou à une crise, expiant ses fautes, sollicitant la compassion et le pardon de Dieu.  Jésus, à l’instar de Moise,  s’initie à ce rituel par un jeûne de quarante jours et quarante nuits dans le désert. Il invite ses contemporains  à jeûner sans ostentation et  sans chercher la gloire, afin de se prémunir de la tentation de l’hypocrisie et de l’orgueil. Le jeûne est vécu comme étant la voie par laquelle le croyant confesse sa foi à travers son propre corps… « Jeûner et partager : la prière prend son envol portée par ces deux ailes »  disait Saint Augustin.

En islam,  le jeûne est une tradition héritée des temps préislamiques. Le Coran le décrète ainsi : « Ô croyants ! le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux peuples qui vous ont précédés. – afin que vous manifestiez votre piété (tathaquoune)  » Coran 2;183. Ce verset confirme  la tradition ancestrale du jeûne et le prescrit en tant que fondement important de la religion tout en le rattachant principalement à la « taquwa »  autrement dit à cette exigence éthique de l’intériorité. La finalité de cette prescription est on ne peut plus claire : jeûne et intériorité sont indissociables et vont de pair…

En islam, jeûner revient à se priver de nourriture, de boissons, de relations sexuelles de la pointe de l’aube au coucher du soleil mais aussi et surtout, se préserver de toute mauvaise intention dans l’acte et l’agir…Il s’agit de réguler notre relation avec les autres, avec la réalité extérieure et avec notre Créateur. 

Ramadan, ce mois où la Révélation de l’ultime message spirituel est venue se joindre au jeûne en tant que moment idéal de proximité avec le Créateur…Il s’agit d’un véritable  temps de rupture avec la frénésie des convoitises… Un profond retour sur soi…

Aujourd’hui, il s’agit avant tout de se remémorer  de cette éthique spirituelle profonde du jeûne en tant qu’approche universelle du renoncement, devant cette culture excessive de la consommation devenue la principale maladie de nos temps modernes. 

En effet, jeûner c’est être dans cette abstinence temporaire des plaisirs superficiels, de la démesure du désir, mais aussi dans le silence de la parole…Dans le Coran le prophète Zacharie et Maryam, Mère de Aissa (Jésus)  font justement un jeûne de la parole… C’est ce vœu de silence qui leur permettra d’être dans la souvenance profonde du Créateur de ces Mondes…

Le Coran formule cette recommandation du jeûne par la parole à Zacharie ainsi : « Seigneur, reprit Zacharie, donne moi un signe de cet événement ; Ton signe, lui fut-il dit, sera que tu ne  parleras point aux gens durant trois jours .. » Coran 19 ; 10. 

Et à Maryam :« Lorsque tu verras quelqu’un dis lui : « J’ai fais vœu d’un jeûne au Miséricordieux. Je ne parlerais donc aujourd’hui à aucun être humain » Coran 19 ; 24-25

C’est aussi ce que préconisait le prophète Mohammed: «  Le jeûne est une protection, que celui qui jeûne ne profère pas d’injures ou d’offenses et s’il est agressé ou violenté qu’il réponde : je jeûne »…Répondre à  l’agression et à la violence par cet acte du « jeûne » qui se veut  silence et  distanciation autrement dit Paix intérieure

C’est ce que jeûner veut dire dans sa profondeur éthique spirituelle…Paix

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

derniere video

Asma Lamrabet

Les femmes et l'islam : une vision réformiste