Asma LAMRABET

L’éthique universelle du Coran : l’exemple des recommandations de Luqmân Le Sage…

 

L’éthique universelle du Coran : l’exemple des recommandations de Luqmân Le Sage…

Janvier 2015

Asma Lamrabet

 

Le Coran est un Livre sacré dans lequel s’imbriquent, de façon complexe, subtile et synchrone : le spirituel, l’éthique, le social, le récit narratif et dans une moindre mesure le prescriptif…Il est sans aucun doute et avant tout un message spirituel où l’éthique et la morale universelle sont d’une importance primordiale, structurant ainsi une trame de fond où la « souvenance »  de la quête de sens est d’une récurrence infinie…

Certes la compréhension  du Livre Saint et son interprétation ont toujours été plurielles et soumises aux dispositions psychologiques, culturelles et sociopolitiques de ses multiples interprètes. Chaque époque a eu son lot d’influences positives ou néfastes qui ont, respectivement anobli et valorisé l’éthique spirituelle du Livre ou réduit ce message millénaire à un obscur code pénal très éloigné de l’essence morale divine.

Au sein de cette éthique globalisante du Coran il y a des « ayates » « signes » encore appelés « versets » qui dans le style narratif propre au Coran, transmettent un récit hautement éthique et d’une universalité ô combien nécessaire aujourd’hui dans ce monde réduit à des ethnocentrismes exacerbés!

C’est le cas des versets  de la  Sourate  « Luqmân » , nom d’un légendaire Sage ainsi décrit par le Coran : « Nous avons donné la sagesse à Luqmân, en lui disant :  Sois reconnaissant envers Dieu , car quiconque l’est le sera à son propre avantage ; tandis que celui qui se montre ingrat, Dieu se passera de sa gratitude, car Il est le seul digne de louanges » Coran 31 ;12.

Toute la Sourate 31 du Coran  a été consacrée à se Sage universel et l’exhortation morale en plusieurs recommandations qu’il dédie à son fils est une véritable leçon d’éthique universelle, qu’il serait intéressant voire essentiel  de redécouvrir, relire et méditer  à l’heure des lectures dévoyées, superficielles et littéralistes dont l’islam est victime aujourd’hui…

Qui est Luqmân ?

Dans les ouvrages d’exégèse islamique classiques Luqmân y est décrit tantôt comme étant un esclave noir originaire d’Ethiopie, tantôt comme un Nubien originaire d’Egypte. La majorité des savants musulmans voit en lui un Sage reconnu et pourvu d’une connaissance légendaire mais sans avoir pour autant le statut de Prophète ni de Messager[1].

La véritable généalogie de cet érudit n’a, en fait, jamais été authentifiée et les assertions de l’origine africaine ou même de certains historiens occidentaux qui ont comparé Luqmân à Esope le philosophe Grec, ne semblent pas très valides. Dans une étude intitulée « A geographical History of the Qur’an », l’auteur y démontre comment,  Ibn Ishaq, l’un des premiers et des plus anciens historiographes arabes connus, affirme que Luqmân serait fils de Ad , issu de ce peuple d’Arabie, anciens sémites et premiers ancêtres du peuple Arabe qui ont vécu du X siècle avant JC jusqu’au III siècle de l’ère chrétienne[2]. Selon la même source, à la mort de Shaddad fils de Ad, la gouvernance a été léguée à Luqmân, son frère selon ce même historien. Ce dernier,  cite également le célèbre  exégète Ibn Abass qui affirmait que Luqmân fils de Ad serait un prophète sans « Livre révélé ».

D’après les conclusions de cet ouvrage , il semblerait que Luqmân serait plutôt d’origine arabe, en effet l’existence de poèmes arabes préislamiques citant Luqmân et sa tribu , prouvent que ce dernier serait arabe et plus précisément chef d’une tribu arabe du Yémen, dont le livre « le Livre de la Sagesse » était fréquemment lu par les arabes de la période antéislamique[3].

 

Les conseils de Luqmân à son fils : des recommandations éthiques

1) L’Unicité Divine comme fondement de la Justice : « N’attribue aucun associé (shirk)  à Dieu   car cela équivaut à  une très grande injustice.. » ; La symbolique de l’Unicité Divine ou Tawhid est ici le corollaire de l’exigence absolue de la justice. Toute action qui susciterait l’injustice est de l’ordre du shirk… Autrement dit l’idolâtrie n’est pas seulement comme on le pense si souvent, à savoir, l’adoration des « divinités » érigées en « icones » ou « statuts » comme du temps du prophète, mais c’est surtout la vénération des « divinités » consacrées comme le pouvoir, l’argent l’autoritarisme, le culte de la personne qui génèrent l’exploitation des autres, des démunis et des opprimés sur terre et donc qui conduit à l’injustice humaine.

 

 

 

2) La noble bienveillance  et la gratitude envers les parents doublée de la reconnaissance envers le Créateur. Le verset insiste plus particulièrement sur le rôle primordial des mères qui endurent souffrances et sacrifices pour leurs enfants : «  Nous avons recommandé à l’homme d’être bienveillant à l’égard de ses parents, car sa mère a enduré de multiples souffrances en le portant et en le mettent au monde… ».  Le lien entre le Créateur et le rôle des parents est sans aucun doute dû au lien entre l’infinie miséricorde (Rahma) de Dieu envers sa création - en l’occurrence  l’humanité - et l’incommensurable sentiment parental  envers les enfants.

 

 

3) Le refus de toute contrainte qui force  l’injustice du  Shirk  même si celle ci émane des parents. : « Mais s’ils exercent sur toi une contrainte pour M’associer à ce dont tu n’as aucune connaissance, ne leur obéis pas…». L’obéissance, ne serait ce au parents, élevés par le Coran au plus haut grade, a cependant ses limites, celles symbolisées par l’injustice et l’ignorance  à ce auquel on est supposés obéir.

4) Avoir un comportement convenable avec les parents même dans le conflit et la mésentente : « et malgré cela continues à te comporter envers eux (parents) en ce bas monde de façon convenable.. ». Le refus de complaire aux parents ne doit point nous faire oublier  que  même dans un contexte de mésentente profonde,  il faudrait savoir rester généreux envers eux  et toujours faire prévaloir l’affection et le bel agir .

5) Suivre ceux qui sont sur la Voie de leur Créateur mais tout en sachant que c’est Lui qui Sait tout : « Suis la voie de celui qui revient repentant vers Moi, car c’est vers Moi que se fera ensuite votre retour et Je vous informerais de ce que vous faisiez » . Nous avons tous , à un moment ou l’autre de notre vie, besoin de modèles à suivre, de personnes dont l’exemplarité nous interpelle.. Ceci est humain et le Coran conseille de suivre justement ceux et celles qui sont dans cette souvenance perpétuelle du Créateur  et dont la profonde spiritualité  se matérialise dans leur réalité de tous les jours. Cependant, quels que soient leur excellence morale et leur savoir, ces personnes n’atteindront jamais l’idéal éthique divin.. C’est ce rappel récurrent dans le Coran qui incite à la  reconnaissance divine, celle  qui nous permet de ne jamais au grand jamais idéaliser un être humain quel que soit son degré de complétude…Seul le Créateur correspond à cette image idéale de la perfection infinie… 

 

 

6)  Toute erreur ou faute quel que soit son importance Dieu en est connaisseur (et Seul Juge)…Quels que soient les efforts que nous déployons en tant qu’êtres humains à dissimuler nos défauts, taire nos défaillances, cacher nos égarements et quelle que soit l’importance de toutes ces infractions ou faiblesses, Seul Dieu en connaît la gravité et les conséquences…Il en est certes éternellement informé mais Sa Bonté au delà de Sa connaissance demeure plus grande et transcende toutes nos faiblesses et turpitudes humaines. Cette conscience de l’infinitude de la connaissance et de l’incommensurable indulgence divines  doit nous habiter entièrement et nous empêcher ainsi d’émettre des jugements d’intention envers les autres quelques soient leurs torts apparents…Il est le Seul Juge…Personne ne peut s’octroyer ce droit…

 

 

 

 

 

7) L’accomplissement de la prière ou salat…Dans toutes les injonctions éthiques du Coran, la prière  y tient une place prépondérante…Prier ce n’est pas uniquement accomplir un acte rituel de dévotion gestuelle  mais c’est aussi « entrer » dans le monde éthique de la « relation » intime avec le divin. Etre avec Dieu et être dans cette souvenance continue est revivifiée par la salat, cette symbolique rituelle qui en islam est considérée comme le pilier primordial de la foi. Ethiquement parlant, on est dans la spiritualité profonde quand on rentre dans ce moment de rituel sacré avec le cœur et la raison de ceux qui n’ont jamais quitté le divin. Ethique, spiritualité et prières sont inséparables et indissociables et on ne peut  rentrer dans l’un sans sortir de l’autre, dans la sérénité et la beauté de chaque moment voué au souvenir de l’infinie grandeur de l’univers et de Son Créateur…

8) Recommander le bien et déconseiller le blâmable…C’est là une éthique du comportement qui est en harmonie avec ceux et celles qui ne peuvent accepter l’injustice,  la discrimination ou l’immoralité. Refuser, dénoncer et lutter contre ces  dérives humaines est l’une des voies importantes de l’éthique musulmane…Garder le silence devant de tels invectives c’est être très éloigné de l’éthique de la dignité humaine telle que stipulée par le message spirituel du Coran.

9) Savoir endurer avec patience ... Endurance et patience sont aussi les deux mots clés de l’éthique d’une spiritualité épanouie et  bien ancrée dans sa réalité. La vie n’est qu’une longue série d’épreuves et savoir les endurer avec patience et sérénité n’est possible qu’après un long et ardu travail que l’on accompli sur soi dans le plus profond de son intériorité.

 

 

10) Ne pas se détourner de ses semblables …en humanité surtout quand ceux ci sont dans le besoin… Etre toujours au service des autres, quelques soient leur origine, religion ou classe sociale…« Le meilleur d’entre vous est le plus utile à ses semblables » c’est ce qu’a confirmé le prophète dans un célèbre hadith.

11) Ne pas avoir un comportement d’arrogance car Dieu n’aime pas les arrogants et les présomptueux… Le refus de l’arrogance et de la présomption est ici on ne peut plus clair ! L’arrogance est l’opposé de l’abnégation vertu essentielle de toute spiritualité…Elle ne peut coexister avec l’exigence de l’humilité envers Dieu et Ses créatures…Elle ne peut qu’entraver le chemin vers la libération et l’élévation spirituelle…

 

12) Etre, vivre et se penser dans la modestie…La modestie ce n’est pas être passif, indifférent ou effacé…La modestie c’est être dans la sagesse, l’équilibre et l’harmonie de la décence et  de la prévenance. Etre dans l’amabilité et la bienveillance continue vis à vis de tous sans différences ni discriminations aucune.

13) Baisser la voix quand on parle…C’est un acte anodin mais d’une grande valeur éthique…Hausser le ton c’est  être dans l’arrogance et le mépris de celui à qui l’on s’adresse… Baisser le ton de sa voix c’est refléter la tranquillité et la paix d’une spiritualité forte et vive que rien en peut ébranler…

 



[1] Tafssir de Tabari du verset.

[2] « A Geographical History of the Qur’an » Seyed Muzaffaruddin Nadwi ; Edition revisitée 2009 ; The Other Press, KL ; Malaysia

[3] Voir références Supra .

 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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