Asma LAMRABET

L’égalité des genres : entre les mythes cultivés et la réalité vécue

Montréal 8 Juillet 2008

 Globalement, il est certain que la condition des femmes a progressé d’une manière considérable au cours du XX siècle. Le droit à l’éducation, à la participation politique et au contrôle des naissances à fait que les pays qui ont parié sur une véritable politique de promotion des droits des femmes sont ceux –là  même,  qui ont garanti le plus d’équilibre et de progrès à leurs sociétés. Au -delà de  la persistance de certains constats négatifs et ou de la réapparition d’indices inquiétants au sein même des sociétés occidentales les plus avancées, il reste évident que ces dites sociétés ont pris conscience d’une donnée capitale, que certains ont aussi appelé « moment –clé » de cette révolution de la modernité : celle qui préconise que le problème politique majeur est celui de l’égalité des sexes[i].

Cependant, force est de constater qu’universellement parlant, les femmes continuent de subir de graves préjudices et atteintes à leur dignité d’êtres humains et ce quelles que soient leurs spécificités historiques, économiques, sociales ou religieuses. L’égalité, ce principe fondateur des systèmes politiques universalistes, reste l’une des promesses les plus inachevées  de la modernité…

En effet, les femmes à travers le monde continuent de subir ce que l’on dénomme  actuellement comme étant « des violences universelles et permanentes » et que l’on a longtemps, délibérément ou pas, essayé de réduire à des spécificités culturelles données, locales, indigènes  voire barbares…  Si plus de la moitié de l’humanité – hommes et femmes- ploie sous la souffrance (guerre, violence, famine, etc…), c’est d’abord la souffrance d’un être née femme qui aggrave toutes les autres.  Un rapide panorama mondial nous montre, en effet, que la situation des femmes est dévalorisée de façon universelle et qu’elles constituent, par le seul fait d’être des femmes, des enjeux majeurs dans toutes les situations de conflit contemporaines.

En Asie, du fait de la préférence donnée aux enfants mâles, la pratique de l’avortement sélectif des fœtus féminins a fait que l’on ne recense pas moins de 90 Millions de femmes manquantes. L’on pourra se demander quelles seront les conséquences économiques et humaines de ce grave déséquilibre démographique dans cette région du monde.

 En Afrique, la féminisation du SIDA, entre autres, est un indice parlant de cette vulnérabilité des femmes qui tient principalement à la discrimination sociale, culturelle et économique à laquelle ces femmes  restent confrontées au sein de leurs sociétés respectives. 

 Et que dire de la traite des femmes dans le monde et plus précisément celle des femmes blanches au cœur de l’Europe : 500 000 femmes acheminées vers l’Union Européenne en 2002. La traite des personnes, comme le démontre une récente analyse, rapporte 5 à 7 milliards de dollars par an et le commerce des femmes est en pleine expansion[ii].

Cette triste réalité de l’exploitation des femmes est actuellement  camouflée par l’utilisation d’un nouveau discours qui préfère parler de « travailleuses du sexe ». Or accepter ce discours c’est accepter que les femmes soient un produit marchand. Au nom de la modernité et de la liberté sexuelle, on normalise une vision archaïque, et de là, fondamentalement inégalitaire, de la sexualité humaine. En effet, la traite et le système prostitutionnel constituent l’un des piliers de l’inégalité sexuelle entre les femmes et les hommes et restent emblématiques du déni, de l’invisibilité des femmes en tant qu’êtres humains et de leur objétisation sexuelle[iii]. Il faudrait à ce titre, questionner la constitution économique et politique de l'UE qui a inscrit l'égalité entre les sexes comme principe fondamental et qui, paradoxalement,  continue de fermer  les yeux sur cette question.

 En Amérique centrale, les assassinats des femmes sont devenus tellement fréquents qu’ils ont justifié l’invention d’un nouveau mot : le « féminicide ». Elles sont les premières victimes de sociétés ravagées par la corruption et la pauvreté.

Alors que dans le monde musulman et dans des pays aussi différents, culturellement parlant, que le Pakistan ou la Jordanie on maintient les femmes sous la tutelle juridique des hommes au nom d’une lecture erronée de l’islam. Des crimes au nom de l’honneur, aux  mariages forcés et en passant par  la lapidation et les dénis de droit les plus divers, les femmes musulmanes restent victimes d’un statut juridique des plus précaires et vivent à l’instar des autres femmes du monde, des discriminations au quotidien. 

Que ces discriminations soient justifiées ou pas par une vision culturaliste sectaire, une prétendue lecture religieuse ou des coutumes archaïques, elles ne peuvent servir d’alibi aux préjudices dont souffrent les  femmes et  à l’atteinte de leur dignité  en tant qu’êtres humains. Le respect des différences n’est sûrement pas à ce prix-là….On peut, en effet, promouvoir et vouloir protéger la diversité culturelle qui fait la richesse du monde mais certainement pas au détriment des droits humains les plus élémentaires .

Encore faut-il que les analyses essentialistes de la part de certaines féministes du Nord prennent en compte le fait que le maintien des femmes musulmanes dans une position d’infériorité n’est pas à mettre, sur le compte d’une culture religieuse structurellement inégalitaire. Même si c’est généralement au nom d’une certaine lecture de cette même religion qu’elle s’exprime, la situation de dévalorisation dont sont victimes les femmes musulmanes doit être analysée, comme celle des autres femmes du monde,  à travers cette culture de la misogynie universelle qui prédomine de par le monde.

Si l’on prend comme exemple le phénomène mondial de la violence envers les femmes et sa recrudescence à travers le monde et particulièrement au sein de pays européens, notamment en Espagne et en France, on ne peut que demeurer  stupéfait devant  les commentaires suscités en fonction de la grille culturelle du pays concerné.

Alors que la violence touche indifféremment toutes les femmes du monde- et ce quelques soient leur contexte géographique, culturel et leur statut social- on continue de     privilégier  les explications culturelles ou religieuses dans les pays du sud et préférer les causes d’ordre psychologique et individuel dans les pays du Nord[iv]. C’est là l’exemple flagrant de  l’image « racialisée » de la violence contre les femmes et qui symbolise le type de comportement « bien intentionné » mais qui en dit long sur  la logique d’esprit « civilisateur » et donc « néo-colonialiste » qui la sous tend…

Nous sommes là au cœur du problème de l’hégémonie d’une certaine idéologie féministe occidentale qui s’est autoproclamée  « universelle » à partir de sa propre expérience et de son propre contexte.

Ce féminisme qui se dit « d’avant - garde » et se revendique le seul éclairé prétend ainsi s’arroger le droit de décider de ce qui définit l’oppression  des femmes et de là, de la légitimité  de certaines luttes féminines et du mépris des autres luttes, considérées avec paternalisme et arrogance car émanant de cultures prétendues moins civilisées. On prétend, avec bienveillance, prendre la défense de ceux et celles qui sont bien immatures et incapables de concevoir leur propre bonheur et tout en les stigmatisant on leur impose des choix d’émancipation qui sont inadaptables à leur contexte et à leur choix politiques. 

Or l’erreur flagrante de ce féminisme hégémonique est  celle d’avoir présenter l’expérience des femmes blanches et occidentales comme  LA norme universelle d’oppression des femmes. C’est une vision où s’imbriquent de façon insidieuse impérialisme et racisme et où les autres femmes du sud- et particulièrement les musulmanes- sont considérées comme des « objets d’étude et d’analyse » et jamais comme des sujets et acteurs de leur propre histoire.

Il y a eu, en effet, une réelle surévaluation d’un certain féminisme occidental et de certaines de ses luttes  vis à vis des femmes d’autres origines et de leurs luttes respectives. C’est comme si les différentes luttes et formes de résistance des femmes du sud sont inopérantes et que seule la lutte des femmes en Occident est  représentative de la norme et donc de l’universalité requise.

C’est ce que Christine Delphy a dénoncé à juste raison comme étant un discours « racialisé », qui relève d’un inconscient raciste, lui- même héritage raciste de l’histoire coloniale.

Certaines féministes du Sud comme l’indienne Chandra Mohanty a analysé comment un certain discours féministe occidental et universitaire conçoit les femmes du sud comme leur propre « faire-valoir » : la femme du sud étant ignorante, pauvre, sous-éduquée, traditionaliste , victimisée ….alors que par contraste et par auto-représentation implicite, les femmes occidentales sont éduquées, modernes, possédant le contrôle de leur propre corps et de leur sexualité et la liberté de prendre leurs propres décisions[v]. 

On rend la culture ou la religion de l’Autre comme responsable de sa mauvaise conduite …Cette vision de l’Autre à qui l’on attribue une « différence »  sert par la suite de fondement à la légitimité du traitement différentiel qui lui sera appliqué : ainsi les occidentales –femmes blanches- sont des actrices individuelles et les femmes du sud ou femmes de couleur sont toujours membres d’un groupe culturel donné[vi].

C’est cette imbrication entre race et culture qui a incité l’apparition, depuis quelques années, au sein des mouvements féministes du sud et transversalement aux luttes sociales propres à chaque contexte, d’un groupe hétérogène  dénommé « féminisme post-colonial ».  Il regroupe toutes les entités marginalisées par un féminisme ethnocentrique et dominant : à savoir, le féminisme noir, latino-américain ou « chicana », le féminisme autochtone- indigènes et le féminisme arabe et son corollaire le féminisme islamique.

Ce mouvement a comme référentiel commun de repenser des concepts comme celui de la famille, du travail ou encore de la violence à la lumière de l’histoire coloniale qui est celles des femmes « racisées ».  Ces femmes envisagent ainsi la création de possibilités de résistance différentes de celles qu’avait envisagé pour elles la pensée féministe dominante. Et au cœur de cette analyse, est placée l’expérience propre à ces femmes, à leurs luttes, à leurs histoires qui est celle  de l’expérience du colonialisme, de l’esclavage et ou du racisme…

A l’intérieur de ce féminisme hétéroclite regroupant des mouvements sociaux de femmes du sud , celui incarné par le féminisme islamique est celui qui apparemment suscite le plus de débats controversés. Il dérange non pas par le fait qu’il s’exprime à partir d’un référentiel religieux mais parce que ce référentiel est « l’islam », religion supposée être l’icône culturel de l’oppression des femmes.     

En tant que femme musulmane , revendiquant le droit à une lutte autonome et indépendante, il devient à la longue pesant et je dirais même parfois douloureux de  vivre ces réquisitoires  récurrents envers des  musulmanes qui doivent se justifier et s’excuser pour le statut qui leur est réservé dans le monde musulman…Nous sommes l’objet d’études critiques et d’introspection sociologique  qui le plus souvent consolident des stéréotypes complètement déconnectés d’une réalité bien plus complexe que l’on ne l’imagine… Or appréhender le statut des femmes musulmanes à travers la seule et unique expérience des femmes du nord érigées en norme n’est pas le meilleur moyen de comprendre et d'apprécier  les dynamiques internes de lutte qui sont mobilisées par  ces mêmes femmes musulmanes au sein de leurs sociétés respectives.

 Parmi ces luttes, celle du mouvement du féminisme islamique, qui quoique lui aussi  traversé par  des sensibilités diverses,  a pour fondement une logique de revendication des droits à partir d’un référentiel spirituel à savoir celui d’un islam considéré et vécu comme un message profondément libérateur. Et ce paradoxalement à l’idée en vogue et historiquement erronée d’un islam oppresseur des femmes. Des musulmanes actuellement, en terre d’islam et à travers le monde, ont compris que ce n’est pas l’islam qui les opprimaient mais  les différentes lectures qui ont jalonné l’histoire de cette religion.

Cette prise de conscience née d’un contexte d’oppression particulier a permis l’émergence  d’un  engagement féminin qui se veut et se dit spirituellement musulman, enraciné dans la réalité d’une appartenance tout en partageant les valeurs universelles qui ne peuvent être objet de négociations de type culturaliste.

Ce sont donc des femmes qui revendiquent le droit à une  lecture de l’islam et ce,   au nom de leur foi,  et de leurs convictions car elles sont pleinement conscientes du fait que,  ce sont des siècles de lecture exclusivement masculine, qui sont responsables de leur marginalisation et de leur relégation à des fonctions de subordination. 

Ce mouvement essaie ainsi de se forger une voie intermédiaire affranchie aussi bien de  l’aliénation occidentale que d’un traditionalisme fermé et rigoriste.

Ce mouvement lutte pour déconstruire le monopole de la connaissance religieuse traditionnellement assignée comme un privilège exclusif des hommes musulmans et qui, à travers l’histoire de cette civilisation, a marginalisé l’apport des femmes et leur contribution à l’histoire de cette même civilisation. Il entend contester l’analyse fort répandue qui prétend que l’inégalité des sexes, l’oppression et le système patriarcal soient des principes intrinsèques au texte sacré de l’islam. Il dénonce aussi le fait que certaines interprétations discriminatoires des textes soient devenues secondairement elles -mêmes sacrées ce qui  a favorisé une certaine institutionnalisation de l’exclusion des femmes de l’espace public musulman.

Cette lutte représente donc un exemple de lutte des femmes du sud qui prône un travail à la fois de construction et de déconstruction : d’une part elles aspirent à la construction d’une nouvelle pensée et d’une nouvelle réflexion conçues à partir d’une perspective féminine et d’autre part elles participent à la déconstruction des discours et des représentations discriminatoires envers la femme musulmane.

Ce double travail critique se fait ainsi à deux niveaux : à un niveau intérieur, autrement dit une critique des interprétations et visions infantilisantes élaborées par une jurisprudence islamique traditionaliste et passéiste. Il s’agit donc d’une véritable remise en question des lectures inégalitaires qui ont trahi le message de la révélation, ce qui permettra à long terme d’élaborer une nouvelle réflexion réformiste de la pensée islamique en redonnant à la femme musulmane toute sa légitimité et en l’intégrant comme partie prenante dans cette réflexion.

 D’autre part et à un niveau extérieur, le travail critique concerne le niveau de représentation stéréotypée des femmes musulmanes et dénonce ainsi la « centralité » donnée à la place des femmes dans les discours essentialistes sur les musulmans et l’islam.

Le féminisme islamique est un féminisme qui s’inscrit aussi dans une perspective d’exigence démocratique pluraliste. La culture d’oppression des femmes est intimement liée à l’oppression politique qui règne dans la quasi-majorité des pays arabomusulmans et qui est récurrente à l’histoire de la majeure partie des régimes en place. Si l’on considère que les textes scripturaires de l’islam sont libérateurs et qu’à l’instar des autres révélations monothéistes leur message est profondément libérateur, comment peut-on  alors prétendre lire ces textes dans des contextes qui sont structurellement oppressifs ??

Or actuellement la référence à la religion dans les pays arabes sert à légitimer l’état de sujétion juridique dans lequel sont maintenues les femmes et ce tant de la part des régimes autocratiques que de la part des idéologies religieuses ultraconservatrices, tous deux,  récalcitrantes à toute émancipation véritable de la femme. 

Dans de nombreux pays musulmans les femmes sont, selon les lois juridiques,  des majeurs politiques et redeviennent des mineures juridiques en rentrant au foyer et dans la sphère du statut personnel. Exception faite de certains pays qui ont introduit des changements au sein de ces mêmes statuts, certains pays musulmans restent des forteresses mondiales d’un indéracinable conservatisme et l’islam est politiquement presque toujours le seul invoqué pour justifier les restrictions apportées aux droits des femmes.

L’alibi religieux est souvent argué  pour légitimer des coutumes -totalement absentes dans le Coran- et qui sont parfois même en flagrante contradiction avec les principes islamiques. (C’est le cas notamment de l’excision entre autres)

En plus de l’oppression culturelle patriarcale vécue à l’intérieur de ces sociétés, les femmes musulmanes, à l’instar des femmes du sud, subissent des contraintes socioéconomiques dues à une mondialisation qui sape le tissu social d’une manière irréversible.

En effet, les mécanismes d’exploitation structurés au plan planétaire et appuyés par les institutions officielles de la mondialisation dite libérale, maintiennent ces populations du sud dans la précarité socioéconomique la plus désastreuse et ont rendu la situation des femmes de plus en plus précaire en raison de la remise en cause des acquis sociaux.

Les orientations politico-écomomiques de certains bailleurs de fond comme la banque mondiale, certaines politiques de l’ONU, ne répondent pas aux vraies attentes des femmes du sud. Elles ne font que renforcer les acquis et les intérêts de l’élite soi-disant éclairée et aliénée des pays du sud, préoccupée principalement par son  maintien aux rennes du  pouvoir.  Le discours sur les femmes n’est jamais innocent, ni indifférent aux enjeux conflictuels entre les groupes sociaux et entre les pays du Nord et du Sud.

Par exemple, on a vu ces dernières années des séminaires organisés dans les différents pays du Maghreb, au nom des droits de la femme, mais qui en fait servent l’idéologie américaine néo-conservatrice, dans le sens de la politique du grand moyen- orient et dans le but évident d’obtenir des élites féminines maghrébines une adhésion totale à la politique américaine au Moyen orient.

Or la lutte pour l’émancipation comme la démocratie d’ailleurs ne s’exporte pas par ce genre de chantage intellectuel, encore moins  de façon dictatoriale et par la force. Et de quelle émancipation et de quelle démocratie sommes -nous en train de parler quand on voit à quelles fins sont instrumentalisés ces concepts, vidées de leur sens et qui justifient l’invasion, la colonisation et l’exploitation scandaleuse des richesses des peuples soit –disant à libérer ???

 Les femmes musulmanes, à l’instar de toutes les autres femmes du monde, doivent et peuvent à partir de leurs luttes endogènes participer à la progression des droits universels des femmes dans le monde.

La problématique de l’égalité des genres dans le sud est donc très complexe et les formes de lutte pour plus de droits pour les femmes, impliquent des stratégies  de lutte aussi complexes. 

Que certaines féministes du Nord s’offusquent à l’idée qu’une lutte féminine puisse s’exprimer au nom du religieux, démontre à quel point  leur vision est à la fois ethnocentrique et simpliste. Cette imposition d’un modèle unique opposant féminisme et foi religieuse est propre d’une vision exclusive car il serait faux de considérer que tout le mouvement féministe occidental s’est construit par une mobilisation contre le religieux.

En effet, des femmes chrétiennes et juives ont mobilisé leur foi – et continuent de le faire- dans leur combat pour l’émancipation féminine et se sont opposées au fait que l’on attribue au religieux de manière essentialiste la domination masculine. En plus de cela le  mouvement féministe n’est pas et n’a jamais été unifié….Et cela n’est pas en soi un problème car c’est bien la diversité des luttes et des moyens de parvenir à plus d’équité et de justice qui doivent prévaloir à travers toutes les divergences…Ce qui est important c’est le sens que chacun donne à sa lutte sans essentialiser les positions qu’il juge adverses.

Si en tant que femme musulmane j’aspire à donner  un sens éthique et  spirituel à mon engagement féministe je ne vois vraiment pas au nom de quel principe universel l’on va me refuser ce droit ??? Et pourquoi celles qui revendiquent ce même droit, à savoir celui d’un engagement féministe, tout en  dénigrant de façon insultante l’islam et en reniant leurs culture et leurs origines sont-elles applaudies, médiatisées et considérées comme étant des femmes courageuses et qui ont véritablement assimilé le discours féministe « universel » ???

Certes, prendre en compte la diversité culturelle et les histoires différentes des rapports de domination hommes –femmes n’impliquent pas que l’on doit accepter des atteintes à la dignité des êtres humains. On ne peut accepter un relativisme culturel qui légitimerait par exemple l’excision ou les crimes d’honneur au nom du  « droit à la différence ». Comme on ne saurait  accepter l’apologie d’un monde occidental seul détenteur et porteur de civilisation et d’universalisme.

Que des femmes musulmanes, à partir de leur contexte social, décident de s’organiser, au nom de leur foi, autour de  luttes autonomes et indépendantes tout en adhérant à des principes véritablement universels, cela en soi n’est pas étonnant et doit être pris en considération par les autres féministes du nord et les décideurs politiques occidentaux. Et ce d’autant plus qu’elles ont mis le doigt sur les véritables causes de leur discrimination et qu’elles dénoncent les discours qui cautionnent leur statut d’infériorité au nom du sacré.

Et justement pour faire avancer la question des droits des femmes au nom d’un universel commun, il faudrait s’atteler à créer des plates formes communes où l’on puisse toutes et tous et ce quelque soient nos croyances, échanger nos analyses critiques, nos expériences, nos acquis, nos faiblesses, nos conflits et nos contradictions.

Qu’on vienne du sud ou du nord, que le sens que l’on donne à nos luttes soit spirituel, agnostique ou humaniste, il s’agit de se mettre d’abord d’accord sur des valeurs communes indéniables dont la principale est le rejet de toute légitimation des inégalités produites par des rapports de domination et ce qu’elles que soient leurs origines. Croyants ou athées, tous ont leur place dans les mouvements qui luttent  contre les injustices de ce monde… Et c’est l’exigence d’un décentrage ethnique et social qui seul pourrait être le garant d’un véritable universalisme non abstrait et non autoproclamé…Un universalisme valable pour tous, sans lequel il n’y aurait pas de dialogue possible, d’humanité à échanger ni d’histoire à partager…

  

Asma Lamrabet
 Conférence Montréal – Colloque 3 et 4 Mai 2008
  • [i] Citation de Françoise Héritier du Collège de France.
  • [ii] La traite des femmes dans le monde, Malka Marcovich, Le livre noir de la condition des femmes, Points Editions XO, p 545 –2006.
  • [iii]Idem.
  • [iv] Exemple de la vidéo de l’UNIFEM sur la violence contre les femmes dans le monde qui montrait des visages de femmes appartenant uniquement au sud : femmes asiatiques, noires, latinos, arabes …mais pas une seule blonde aux yeux bleus, à part évidemment l’actrice, on ne peut plus blanche qui sponsorisait le vidéo clip, www.saynotoviolence.org.
  •  [v] Mohanty dans Nalini Visvanathan , 1997 ; NQF Vol. 25, No3 / 2006
  • [vi] « Quand on rend la culture responsable de la mauvaise conduite », Leti Volpp ; NQF, 2006. 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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