Asma LAMRABET

L’appel égalitaire du Coran aux femmes et aux hommes : quelques exemples (1)

 

Il est historiquement reconnu que la majeure partie de la parole coranique interpelle, sans distinction, hommes et femmes, et ce à travers différentes formulations comme an-nâs (« les gens »), banî âdam (« enfants d’Adam »), qawm (« peuple ») ou umma que l’on peut traduire par « communauté ».

 

Le reste des injonctions coraniques exprimées au masculin, comme yâ ayyuhâ al-mu’minûn, « ô vous les croyants », englobe systématiquement les femmes, de l’avis quasi unanime des Ulémas qui s’accordent sur le fait que la parole divine, en dehors des formules spécifiquement adressées à l’un des deux sexes, concerne hommes et femmes sans aucune différenciation[1]

 

Le masculin dans le Coran, à l’instar des langues autres que l’arabe, est utilisé comme « genre neutre », et sous-entend l’universalité humaine. Ainsi en est-il, par exemple, du terme rijâl, qui désigne généralement une élite d’hommes et de femmes, et qui correspond en français au terme « Hommes ».  

 

Un hadith rapporté dans les ouvrages islamiques classiques révèle, de façon explicite, comment les femmes, au moment de la Révélation coranique, avaient très tôt assimilé les principes égalitaires du nouveau message spirituel.

 

En effet, on raconte qu’un jour, alors que Umm Salama, épouse du Prophète – et appelée, à ce titre, « mère des croyants » – faisait sa toilette avec l’aide d’une servante, elle entendit un appel qui convoquait les gens (an-nâs) à une réunion urgente à la mosquée de Médine, sous l’égide du Prophète. Elle se leva aussitôt, et s’empressa de se préparer pour aller à cette convocation générale, sous le regard étonné de sa servante qui lui fit remarquer que l’appel s’adressait à an-nâs et donc qu’il ne devait concerner en principe que les hommes. Umm Salama lui rétorqua alors : « Moi aussi, je fais partie des gens (anâ min an-nâs) ! »[2]

 

Umm Salama, comme les autres premières femmes ayant connu l’aube de l’islam, avait tout à fait compris que le message spirituel l’interpellait autant que les hommes, et que cette réunion dans la mosquée de Médine s’adressait à tous ceux et toutes celles qui se sentaient concernés par les affaires publiques de la communauté naissante. Et en tant que musulmane de la première heure, engagée dans les premiers rangs des musulmans qui ont lutté corps et âme pour l’islam, elle perçut, instinctivement, cette convocation à la réunion publique avec le Prophète comme la possibilité pour elle d’exercer son droit légitime à la participation sociale auprès du reste des croyants et croyantes de l’époque.

 

Parallèlement à la majorité des versets qui interpellent donc hommes et femmes sans distinction aucune, on trouve quelques versets, au nombre de six, qui sont adressés à la fois aux hommes et aux femmes mais dans une formulation qui spécifie le genre masculin et féminin dans chaque verset.

 

Dans cette série de  versets qui emploie à la fois le genre masculin et féminin dans une même formulation, un  verset en particulier semble à lui seul résumer l’essentiel de cette approche égalitaire coranique :

 

« Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui observent le jeûne, ceux et celles qui sont vertueux , ceux et celles qui invoquent souvent le Nom de Dieu, à tous et à toutes, Dieu a réservé Son pardon et une magnifique récompense. »[3]

 

L’interpellation ici est claire. Il s’agit pour le Coran de bien distinguer les hommes des femmes, mais pour mieux les réunir dans l’égalité de la responsabilité commune.

 

Cette égalité « symétrique » répétée dans plusieurs versets témoigne de l’importance donnée par le Coran, parole de Dieu révélée aux êtres humains, à la participation égalitaire des hommes et des femmes, mais aussi à leur responsabilité commune dans cette vie et dans l’au-delà.

 

Pour appréhender le sens profondément égalitaire de ce verset, il est particulièrement important d’analyser de prime abord les circonstances dans lesquelles il a été révélé. On comprendra d’autant mieux les objectifs mais aussi l’esprit qui sous-tend l’approche particulière de ce verset coranique.

 

Dans la majorité des compilations exégétiques classiques, on retrouve plusieurs versions concernant les circonstances de la révélation de ce verset, mais toutes se rejoignent quant à leur finalité, à savoir une revendication purement féminine. En effet, toutes les versions s’accordent sur le fait qu’il s’agissait avant tout d’une requête faite par un grand nombre de femmes qui ont été quelque peu « contrariées » par le discours coranique, qui, du moins au début, semblait les ignorer et s’adresser exclusivement aux hommes. 

 

L’une des versions les plus célèbres est celle d’Umm Salama l’épouse du Prophète, qui aurait un jour dit à ce dernier : « Pourquoi, nous les femmes, ne sommes-nous pas évoquées dans le Coran comme le sont les hommes ? »

 

Le même jour, au moment de la prière de midi, voilà que le Prophète, du haut de sa chaire, annonce la « descente » du verset : « Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères… »[4]

 

Selon une variante, Umm Salama aurait dit : « Pourquoi les hommes sont-ils cités dans toutes les occasions, et nous les femmes ne le sommes pas ?! »[5]

 

Une autre version rapporte que ce sont les épouses du Prophète – sans préciser une en particulier – qui ont dit : « Pourquoi Dieu cite les croyants et ne cite pas les croyantes ? » Toujours dans le même genre de contestation, ce sont d’autres femmes de la communauté musulmane, à l’instar d’Umm Amara al-Ansâriyya, qui auraient dit : « Nous constatons que tout est en faveur des hommes, et que les femmes ne sont guère citées par la parole divine ! »[6]

 

L’exégète Ibn ‘Achûr rapporte, quant à lui, la version de Asmâ Bint Umays qui, de retour d’Abyssinie (actuelle Ethiopie) va se plaindre au Prophète, en tant que représentante des femmes, en ces termes : « Nous sommes, nous les femmes, vraiment attristées de constater que nous ne sommes pas citées par le Coran comme le sont les hommes ! »[7]

 

Toutes ces doléances exprimées par différentes femmes ou des groupes de femmes, comme les confirment de nombreuses sources, témoignent de l’importance de la présence féminine à l’époque, et de l’intense engagement de ces premières musulmanes dans le processus sociopolitique sous l’impulsion de l’islam comme importante force spirituelle de mobilisation.

 

Le comportement de ces femmes de la première communauté confirme les données historiques de l’époque qui relatent la présence incontournable des musulmanes dans tous les évènements majeurs qui ont marqué cette période. Cette revendication féminine n’était qu’un questionnement légitime de la part de femmes qui voulaient connaître avec plus de précisions leur véritable « positionnement » dans le discours coranique, afin de confirmer ainsi leur rôle de partenaires à part égale aux côtés des hommes. 

 

Cette revendication féminine de la première heure illustre aussi d’une façon éclatante la naissance d’une nouvelle conscience féminine, avertie et pleinement consciente de ses droits et de ses responsabilités. Droits et responsabilités qui leur ont été officiellement octroyés par le message libérateur de l’islam.

 

Ces premières femmes musulmanes avaient participé activement à l’édification de la première cité de l’islam, sous la protection et avec l’encouragement inconditionnel d’un prophète qui a été l’un des plus grands défenseurs de la cause des femmes mais aussi de tous les opprimés sur terre. Il est inutile de rappeler ici que les femmes faisaient partie de ces minorités fortement opprimées à l’époque.

 

Ces femmes s’étaient donc sacrifiées, quelques fois au péril de leur vie, pour l’édification du nouveau message spirituel. Elles ont donné le meilleur d’elles-mêmes, dans l’exil, le dévouement, la séparation, la précarité, dans la pauvreté et la souffrance, mais en ayant toujours dans le cœur le bonheur et l’espérance de se savoir libres, autonomes et enfin indépendantes. L’islam avait donné un nouveau statut social à ces femmes, celui d’êtres humains, dignes, libres, sur le même pied d’égalité que les hommes.

 

C’est la raison pour laquelle ces femmes ont, pour ainsi dire, protesté, et ont revendiqué auprès du Prophète le droit d’être évoquées de la même façon que les hommes, même si elles savaient pertinemment, au fond d’elles-mêmes, que la parole divine ne pouvait les ignorer, et qu’elle les concernait autant que les hommes.

 

Quoi de plus légitime pour ces femmes qui, à l’aube de l’islam, étaient en pleine « conquête » de leurs droits, que d’affirmer leur présence en « exigeant » des réponses claires à leurs aspirations égalitaires ? Elles avaient besoin de cette confirmation, de cet ultime témoignage du Créateur des mondes, dans Son Livre Eternel, afin justement de réaffirmer leur position égalitaire de femmes qui ne voulaient plus se contenter d’être incluses dans le concept général de « croyants » mais qui aspiraient à une reconnaissance distincte, en bonne et due forme.

 

Et c’est exactement ce à quoi le Coran a répondu en ponctuant le verset par la spécification des musulmans et des musulmanes, des croyants et des croyantes, etc. Il y a donc dans ce verset une reconnaissance évidente, de la part du Créateur, de la participation égalitaire des femmes et des hommes. Et il s’agit bien ici d’une réponse claire donnée à une contestation qui était le fruit d’une démarche féminine qui questionne le texte sacré le plus naturellement du monde.

 

Le Coran a répondu à la demande de ces femmes, à travers un verset qui définit de façon indubitable le fondement égalitaire de la relation entre hommes et femmes, et ce dans le cadre, faut-il le rappeler, d’une culture aux racines patriarcales du fin fond de l’Arabie du 7 siècle !

 

Quel meilleur argument peut-on trouver afin de convaincre ceux et celles qui doutent ou refusent de reconnaître que le Coran a été « avant-gardiste » dans son approche égalitaire entre les hommes et les femmes ?

 

Ce verset, pourtant clair dans son approche égalitaire, n’a pas eu la place qu’il méritait au sein de l’ensemble du corpus islamique où l’on a eu bien de la peine à accepter et même concevoir une égalité aussi parlante que celle évoquée par ce magnifique verset : « Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui observent le jeûne, ceux et celles qui sont vertueux, ceux et celles qui invoquent souvent le Nom de Dieu, à tous et à toutes, Dieu a réservé Son pardon et une magnifique récompense. »

 

Le Coran met en exergue, à travers ce verset, la dimension de la conviction (îmân) –propre aux croyants et aux croyantes, la sérénité de leur cœur (khuchû‘), leur sincérité (sidq), leur capacité à être patients (sabr) ; une patience qui se forge dans la seule confiance en Dieu, érigée dans la persévérance d’une lutte constante contre l’oppression, et non pas une patience imposée et vécue dans la fatalité de l’obéissance à l’injustice.

 

La parole coranique, dans ce verset, met aussi en évidence l’humilité des hommes et des femmes, qui, à partir de leur perspective de croyants, sont épanouis et font preuve de bonté et de générosité. Ce sont des hommes et des femmes qui savent être au service des autres, faire « don de soi » (ihsân) comme un acte de profonde piété, alors que le jeûne (sawm) est une véritable purification de l’âme plutôt qu’une simple et banale privation du corps comme beaucoup d’entre nous vivent le jeûne du mois sacré de Ramadan.  

 

Le verset cite aussi « ceux et celles qui sont vertueux » et font preuve de retenue et de décence dans leur comportement aussi bien extérieur que dans leur intériorité profonde. Ceux et celles qui sont dans la décence de l’apparence et de l’intériorité, dans la pudeur (al-hayâ’) de l’âme et de l’être. Cette pudeur qui n’est pas restreinte à la seule sphère corporelle, mais qui est aussi retenue, et délicatesse des actes. C’est ainsi que l’a décrite le Prophète – qui était lui même très pudique – dans un de ses célèbres hadiths, en disant que « la pudeur est une des branches de la foi »[8].

 

Dieu évoque aussi « ceux et celles qui sont dans la souvenance permanente de Dieu » (adh-dhâkirîna wa adh-dhâkirât), et dont la réminiscence et l’évocation du Créateur et de Sa création fait partie de leur quotidien de croyants. Ceux et celles qui n’oublient jamais le sens de leur présence sur terre, et qui réfléchissent au sens de leur passage éphémère dans ce monde, au sens de la vie, de la mort, et qui n’oublient jamais leur destinée dans l’Au-delà.

Le Prophète a dans ce sens souligné l’importance de cette vertu de la souvenance de Dieu. On lui a demandé un jour : « Quels sont les meilleurs êtres humains aux yeux du Créateur ? », ce à quoi le Prophète a répondu : « Ceux et celles qui invoquent souvent le Nom du Créateur (adh-dhâkirîna wa adh-dhâkirât) »[9]. Il est évident que l’invocation du Nom de Dieu ne doit pas uniquement être une invocation superficielle faite oralement sans présence du cœur, et surtout sans conscience profonde de Sa présence dans notre quotidien, dans notre comportement avec les autres, dans notre façon d’être. Se souvenir de Dieu, c’est être dans la perfection de l’acte, de la parole ; c’est agir constamment dans l’honnêteté et l’intégrité morale par respect et déférence à l’égard de Celui qui voit tout et qui est plus proche de nous que notre propre « veine jugulaire », et qui connaît notre plus profonde intimité[10] ; se souvenir de Dieu, c’est être avec Lui, et être avec Lui, c’est aussi être avec les autres.

 

A travers ce verset donc, véritable socle fondateur de l’égalité, le Coran précise qu’hommes et femmes sont jugés par le Créateur non pas à travers leur genre masculin ou féminin, mais bien à travers leurs actions, leur sincérité, leur honnêteté, leur piété, leur apport respectif à la société dans laquelle, tous ensemble, hommes et femmes vivent, se côtoient, et s’entraident pour le bien commun.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Concernant l’égalité dans le discours coranique, elle est affirmée par de nombreux savants don’t l’Imam Ibnou Rochd ; l’Imam Ibn el Quaim et Ibn Arabi, voir Tahrir elmaraa fi asr errissala de Abou Chouka p 70 ; en arabe, éditions Dar el Qalam ; koweit ; 4 eme édition ; 1995.

[2] Hadith rapporté dans le Sahîh de Muslim, et par l’imam Ahmad.

[3] Coran 33 : 35.

[4]  Tafssir  Ibn kathir; hadith rapporté par l’Imam Ahmed

[5] Tafssir Attabari, hadith de Mujahid.

[6] Tafsîr Ibn Kathîr, version rapportée par an-Nasâ’î.

[7] Ibn ‘Achûr, Tafsîr at-tahrîr wa at-tanwîr.

[8] « La foi comporte 77 branches et la pudeur est une de ces branches », rapporté dans les Sahîh de Bukhârî et Muslim.

[9] Hadith rapporté par l’imam Ahmad.

 

[10] Coran 50 : 16 : « Nous avons créé l’être humain et Nous connaissons les plus intimes secrets de son âme, car Nous sommes plus proche de lui que sa veine jugulaire ». 

 Asma Lamrabet ( Femmes et Hommes dans le Coran : quelle égalité?)

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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