Asma LAMRABET

Islam et femmes: Asma Lamrabet pose les questions qui fâchent (INTERVIEW)

SOCIÉTÉ - Les hommes sont-ils supérieurs aux femmes? Ont-ils le droit de frapper leurs épouses? Pourquoi les musulmanes n'ont pas le droit de se marier à des non-musulmans? Autant d'interrogations auxquelles s'attaque Asma Lamrabet, médecin et chercheuse, dans son nouveau livre Islam et femmes: les questions qui fâchent(éditions En toutes lettres, février 2017). Voile, polygamie, égalité dans l'héritage... L'auteur déconstruit un à un les préjugés sexistes transcrits dans la tradition musulmane au nom de préceptes divins, pour démontrer que la plupart des interprétation du Coran se sont construites à la marge voire à l'encontre du texte sacré. Entretien.

HuffPost Maroc: Quel est l'objectif de ce livre et pourquoi faut-il absolument parler des questions qui fâchent en islam en ce qui concerne les femmes?

Asma Lamrabet: Je souhaite déconstruire les idées reçues sur ces questions à deux niveaux. D'abord au niveau international, où la place des femmes dans l'islam est réduite à ces questions qui fâchent. Il y a une vision occidentalisée qui réduit l'islam et les femmes à quelques versets ambigus, dont l'interprétation est polémique et qui apparaissent à première vue très discriminatoires envers les femmes. Ensuite au niveau du discours religieux qui, lui aussi, quand il veut faire sa lecture de l'islam et des femmes, réduit celle-ci à ces versets et en fait une question apologétique. Il se défend en disant qu'il ne s'agit pas de discriminations envers les femmes mais que c'est l'état naturel des choses. Si la femme hérite de la moitié de la part de l'homme ou si elle est considérée comme étant inférieure à l'homme, c'est parce qu'il y a supériorité des hommes, que c'est la volonté de dieu. Il faut déconstruire cette vision.

À qui s'adresse ce livre?

Aux musulmans et aux non musulmans. Aux musulmans pour montrer qu'il y a un décalage entre ce que dit le message spirituel et ce que les interprétations sont venues dire des siècles durant. On a sacralisé l'interprétation et les musulmans ont du mal à revenir vers le texte. On reprend toujours ce que les juristes ont décidé pendant des siècles, sans faire un travail de relecture ou de recontextualisation. D'ailleurs, c'est bien souvent sur ces questions qui fâchent qu'on refuse de le faire. Et aux non musulmans, pour que leurs critiques soient un peu plus construites, qu'ils fassent preuve de discernement. On ne peut pas rejeter en bloc toute une religion, un savoir, une spiritualité, la mémoire et l'histoire de milliards de gens, à cause de cinq ou six questions qui ont été mal interprétées.

Vous abordez plusieurs sujets clivants: la question de l'héritage, le port du voile, la polygamie... Peut-on parler de parti pris sur ces questions?

Il faut le dire clairement: je pars d'une posture de croyante. Je ne suis pas dans une posture d'analyse objective à 100%. Il y a une certaine subjectivité et je l'assume. Mais je suis très critique par rapport à la tradition et à la lecture qu'on en fait. J'évite l'apologie en étant réaliste et en faisant la part des choses, même si ce n'est pas toujours évident. Je veux également montrer que ces questions transcendent toutes les religions. On a un problème avec l'interprétation des textes sur la question des femmes au niveau des trois religions monothéistes. Il faut être clair par rapport à cela.

Pourquoi ces questions font encore débat aujourd'hui? Pourquoi une telle obsession autour de la femme?

Parce que, qu'on le veuille ou non, partout dans le monde et plus encore dans le monde musulman, cette question des femmes est centrale. Quand on touche à la question des femmes, on touche en effet à toutes les autres questions: la liberté de conscience, la liberté individuelle, l'identité même d'une nation, d'un peuple. Dans le monde arabo-musulman, cette question a toujours été liée à la politique, à la peur de l'occidentalisation et au legs colonialiste. On s'agrippe à cette identité comme à une bouée de secours, et celle qui a toujours représenté cette identité, c'est la femme. Elle doit montrer certaines visibilités de l'islam, elle est la garante de cette identité. C'est une question qui centralise toutes les peurs. Aujourd'hui, quand on voit l'essentiel des discours religieux, notamment dans les médias mais aussi dans les prêches, 90% du débat tourne autour du corps de la femme, du halal et du haram. C'est assez affligeant. 

Que répondez-vous à ceux qui voient dans le Coran des atteintes aux droits des femmes?

Il faut être juste dans notre façon de voir. Il faut arrêter d'instrumentaliser le même discours, de dénigrer toute une civilisation, toute une culture. C'est du racisme pur et simple. C'est une vision essentialiste qui est peut-être alimentée par l'ignorance, mais aussi par la xénophobie et le rejet de l'autre. On le voit partout: regardez ce qui se passe aux États-Unis, au Québec... Il y a une véritable islamophobie qui est nourrie par les discours extrémistes de tous bords. C'est pour ça que cette question reste centrale et qu'il faut déconstruire cela pour apaiser tout le monde. C'est aussi valable pour les discours extrémistes tenus par les organisations terroristes.

Parmi toutes ces questions que vous posez dans le livre, y en a-t-il une pour laquelle vous aimeriez que les choses changent rapidement?

Toutes ces questions ont leur importance aujourd'hui. Ce sont des questions qui nous montrent qu'il y a eu une injustice par rapport à la lecture faite du message spirituel. Le message du Coran a donné des latitudes extraordinaires pour le réinterpréter en tous temps et en tous lieux. Ce qu'on interdit aujourd'hui, on ne le retrouve pas dans le Coran. Je le dis dans le livre, argumentaire à l'appui. Je montre comment, aujourd'hui, on est "à côté de la plaque" par rapport à toutes ces questions. C'est vrai qu'il y a deux ou trois versets ambigus, mais pour le reste, c'est aberrant qu'on ait décidé le contraire de ce que le message spirituel avait préconisé ou laissé ouvert.

Quelle est selon vous la solution pour sortir du schéma patriarcal?

Il faut changer notre approche des textes. Il ne faut pas oublier que l'approche traditionaliste, patriarcale et misogyne est toujours d'actualité dans l'enseignement religieux, dans les écoles, dans les universités, dans les cours islamiques. On perpétue cette même lecture. Aucun effort n'a été fait par rapport à cela. C'est toujours la même approche, la même méthodologie archaïque. Il y a eu des "réformettes" dans les livres scolaires mais on attend un vrai travail de fond. Ce que je propose, c'est une nouvelle alternative de l'approche du texte qui nous permettra aujourd'hui, de l'intérieur de l'islam, de faire une lecture radicalement opposée à ce qui a été fait jusqu'à présent. Cela permettra de proposer, toujours en restant dans les normes éthiques de l'islam, des nouvelles solutions qui soient compatibles avec ce qu'on connaît aujourd'hui comme principes universels.

HuffPost Maroc   |  Par
Publication: 08/02/2017 17h47 CET 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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