Vos femmes …un « champ de labour » ?
On retrouve au sein du Coran un verset qui parle « d’al- harth » et qui est le plus souvent très mal traduit par « champ de labour ». Les femmes sont donc comparées à ce « champ de labour » que les hommes - selon certaines interprétations - ont l’autorisation, voire le devoir, « d’utiliser » comme bon leur semble.
Effectivement nous retrouvons dans la majorité des traductions ce qui suit : « Vos femmes sont pour vous comme un champ de culture ou de labour ( harth ); allez donc à vos champs comme vous l’entendez (faatou harthoukoum ana chiitoum)» Coran 2 ;223. Ceci est la traduction majoritairement retrouvée et qui en fait reste une traduction strictement littérale.
Il faudrait dans un premier temps, voir ce que disent les textes classiques de Tafassirs concernant ce verset et notamment par rapport aux circonstances de sa révélation.
Plusieurs récits sur les causes de la révélation de ce verset sont relatés par les commentateurs classiques mais tous concordent sur le fait qu’il a été révélé pour tenter de rectifier certaines coutumes concernant les relations sexuelles des gens de Médine (encore appelés al - Ansar) .
Selon un récit rapporté par Ibn Kathir, certains musulmans de la Mecque (al Muhajirine), en immigrant à Médine ont épousé des Médinoises et ils ont commenté le fait que ces dernières refusaient certains comportements sexuels notamment celui du positionnement de l’homme par le postérieur du corps de la femme.
En effet, les femmes Ansar avaient adopté une ancienne coutume juive qui préconisait que « si l’homme se positionne derrière sa femme, l’enfant de cette union naitrait atteint de strabisme »[1]. Le verset fut alors révélé afin de « contester » ce genre d'assertions qui relèvent de la superstition et rassurer les musulmans sur le fait que les rapports sexuels étaient libres et que la position de l’acte n’a aucune conséquence néfaste ni pour les partenaires, encore moins pour les enfants. Cependant, il est important de rappeler ici qu’en islam, c’est le « coït anal » qui est interdit par de nombreux hadith qui conseille aux musulmans d’éviter les rapports sexuels par voie anale.
Le Coran, à travers ce verset vient corriger certaines coutumes de l’époque dont celles relevant de la tradition juive qui étaient très strictes, voire très rigides, par rapport aux relations sexuelles. Ce verset vient « libérer » certaines mœurs de l’époque très à cheval sur certaines notions sexuelles et révèle aux croyants la liberté des partenaires quant à leur activité sexuelle.
Par rapport aux termes utilisés par le Coran comme el harth et « allez à votre harth comme vous l’entendez », ils ont le plus souvent été traduits comme étant un « champ de labour » et compris comme étant une permission aux hommes d’utiliser les femmes comme bon leur semble. Ce genre d’interprétation, est, le moins que l’on puisse dire, très dévalorisante pour les femmes et reproduit, de ce fait, une image réellement indécente de l’acte sexuel. Or, le sens global de ce verset, comme nous l’avons vu plus haut, est celui d’une approche « libérée » de la sexualité au sein du couple et il ne s’agit en aucun cas de considérer les femmes comme « un champ à labourer » dans le sens littéral du terme. Il ne peut y avoir de vision dépréciative des femmes qui sont considérées comme partie prenante du couple et qui sont, tout autant que les hommes, concernées par une relation sexuelle saine et équilibrée.
Le savant et Imam Sayid Fadlaallah donne une explication très intéressante du terme harth. En effet, il considère que le Coran a voulu donner une image des femmes correspondant à celle de la terre, de la fertilité, de la richesse, en d’autres mots, de la vie[2]. En effet, les Arabes de l’époque utilisaient le terme de harth pour tout ce qui était riche et fertile, tout ce qui était productif et fécond. C’est donc un terme qui est éminemment positif et qui ne peut être compris comme étant péjoratif. C’est une image allégorique que le Coran a utilisée dans un sens positif et qui correspond en arabe à un emblème de la richesse.
En d’autres termes, el harth signifie dans ce verset, qui stipule la liberté sexuelle dans le couple, la richesse et la vie. Les femmes sont comparées à la « source de la vie », c’est elles qui « donnent la vie », elles sont le « lieu de la vie »…
C’est ainsi qu’en traduisant harth par sa véritable signification « source de vie » au lieu de « champ de labour », c’est tout le sens du verset qui change et on aura ainsi : « Vos femmes sont pour vous –harth- la source de la vie et de la richesse allez donc à cette source comme vous l’entendez (librement) (faatou harthoukoum ana chiitoum)». Ce qui rejoint toute la philosophie du Coran par rapport aux femmes, à la notion du couple et à l’harmonie de la vie à deux.
Cela ne peut en aucun cas correspondre à cette image méprisante de femmes considérées comme des « champs de culture » que les hommes peuvent utiliser sans respect et sans considération aucune.
C’est bien le contraire qui est symbolisé par ce verset et qui a été avant tout révélé afin de libérer les esprits et les corps des coutumes et des frustrations culturelles et qui, finalement, ne fait que reproduire l’image de l’épanouissement sexuel auquel doivent aspirer les deux partenaires au sein d’un couple.
Nous sommes donc très loin de l’explication littérale et péjorative qui est donnée à ce verset et qui ne peut correspondre en aucun cas à l’esprit coranique.
Asma Lamrabet
« Femmes et Hommes dans le Coran : quelle égalité ? »
[1] Tafssir Ibn Kathir, verset 2,223.
[2] Site officiel du Dr Sayid Hussein Fadaallah : arabic.bayynat.org.lb /books/ quran/Bakara70.htm
À propos de l'auteur
ASMA LAMRABET
Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.