Asma LAMRABET

1) Qu'est ce que le féminisme islamique ?

R : j’entends par féminisme islamique : un féminisme qui revendique des droits égalitaires pour les femmes à partir du référentiel et du contexte musulman. C’est une dynamique traversée par différents courants comme le  courant réformiste traditionaliste, celui de l’islam politique, le libéral ou celui d’un réformisme spirituel décolonial. Tous ces courants, malgré leurs différences dues aux contextes respectifs, se fondent sur un dénominateur commun qui est la relecture féminine et féministe des textes sacrés afin de contester les lectures patriarcales dominantes.

2) Féminisme islamique et féminisme historique européen et américain : quelles différences?

R : Personnellement et partant de mon appartenance au courant féministe spirituel décolonial, je pense que les principes généraux défendus par le féminisme musulman s’inscrivent dans le cadre de la définition « universaliste » du  féminisme,  qui considère la lutte de « toutes » les femmes contre « toutes » les oppressions patriarcales comme le produit d’une lutte commune et continue de l’histoire de l’humanité et ce quelque soit le contexte social ou géographique.

Mais en tant que féministe musulmane décoloniale je refuse l’imposition d’un « modèle » unique du féminisme telle que reproduit par  une certaine vision « ethnocentrique » du féminisme qui se dit « universel » mais qui ne prend pas en compte les autres luttes des femmes venant des pays du Sud, celles des peuples opprimés, qu’ils soient de l’Amérique latine, de l’Asie, de l’Afrique ou des pays Arabes.

Le Féminisme en Europe ou aux Etats Unis a dans une certaine mesure « marginalisé » les autres luttes et  donc reproduit un rapport de domination par rapport aux autres féministes du tiers monde. Je considère donc que le féminisme musulman, comme celui d’Europe, des Etats Unis ou celui de tous les pays du Sud comme un féminisme qui partage des principes universels comme l’égalité, l’émancipation et la dignité des femmes mais qui comme tous les féminismes a son propre modèle et ses propres stratégies de lutte du à son propre contexte patriarcal.

Donc on peut et on se doit de partager  des valeurs communes au concept « universaliste » du féminisme mais en même temps chaque contexte a le droit de s’exprimer pour lui même et de revendiquer des droits selon la logique de domination dans laquelle il vit. Le patriarcat étant un vécu d’oppression qui diffère selon le contexte et qui va du patriarcat culturel à celui du néolibéralisme sauvage, en passant par la marchandisation du corps des femmes et à la précarité socio-économique. Chaque féminisme a donc le droit et l’obligation de déconstruire les racines de son propre patriarcat.  

Q : Quel est le futur du féminisme musulman ?

Je pense que la dynamique du féminisme musulman aujourd’hui ouvre de nouvelles perspectives dans les sociétés musulmanes d’aujourd’hui…Ce que je nomme la troisième voie c’est celle d’un féminisme qui allie entre droits humains universels et spiritualité et éthique du référentiel musulman réformiste. Ce féminisme contextualisé a plus de chance de donner des résultats effectifs car je reste convaincue que le changement doit être endogène et  lié à notre  contexte où l’islam reste un référentiel prioritaire. Les féministes musulmanes sont capables d’induire des métamorphoses sociétales importantes en critiquant de l’intérieur leur propre tradition, en cherchant des solutions grâce à une relecture réformiste pour un islam apaisé et ouvert sur tous les apports universels.

Ceci ne va pas être facile, cependant la porte s’est déjà ouverte et même si le chemin est long, les femmes musulmanes sont – en grande partie - aujourd’hui convaincues que ce n’est pas l’islam qui les opprime mais bien un système politique dominant qui a monopolisé le religieux en sa faveur et qui maintient aussi bien les femmes que les hommes musulmans dans des conditions de discrimination et d’oppression au nom du religieux afin de pérenniser son pouvoir temporel !

 Asma Lamrabet

Novembre 2013