Le « voile » dit islamique : une relecture des concepts
Le « voile » dit islamique : une relecture des concepts *
Asma Lamrabet
La question du « Hijab » ou « voile » est actuellement l’une des questions les plus controversées aussi bien en terres d’islam qu’en Occident où cette question connaît des paroxysmes d’hystérie collective récurrents.
La thématique du « voile » s’avère être sans conteste le noyau central d’une problématique assez complexe où s’imbriquent d’une façon assez confuse, des notions aussi diverses que la tradition, la modernité, la liberté, le corps des femmes, les tragédies identitaires et le défi du vivre ensemble des sociétés multiculturelles.
Il reste évident que tous les débats sur ce sujet ont au moins eu le mérite de « dévoiler » deux grandes problématiques contemporaines. La première en Occident, en rapport avec la visibilité de plus en plus importante des musulmans et de là, de la place de l’Islam dans ces sociétés, qui sont elles mêmes, en phase de restructuration identitaire. La seconde, en terres d’islam, où la problématique du « voile » n’a fait que confirmer l’existence d’une profonde et grave crise identitaire, illustrée par l’intensité de la « charge passionnelle » édifiée autour de ce signe, lequel a finit par symboliser à lui seul, l’essentiel de l’identité musulmane.
Mais au delà de la problématique en elle – même, du droit de le porter ou non et de sa légitimité religieuse ou non, il faudrait revenir dans un premier temps à la source coranique afin de voir comment le texte sacré aborde ce sujet. Revoir la véritable terminologie utilisée par le message spirituel et son rapport à l’éthique vestimentaire des femmes.
De prime abord, il serait important de souligner d’emblée ici que le terme de « Hijab » usuellement utilisé ne correspond absolument pas à ce qu’il est sensé désigné, à savoir, le foulard, qui recouvre les cheveux des femmes musulmanes.
Nulle part dans le texte coranique le terme de Hijab ne traduit cette signification et dans la réalité coranique le terme de Hijab dans son interprétation aussi bien sémantique que conceptuelle incarne plutôt l’opposé de ce qu’il est sensé désigné dans la réalité.
Le terme « HIJAB » dans le Coran
Le terme Hijab revient sept fois dans le texte coranique et traduit à chaque fois exactement la même signification et ce à la différence d’autres mots utilisés par le texte sacré et qui des fois peuvent être polysémiques.
Hijab désigne en arabe rideau, séparation, cloison, autrement dit, tout ce qui cache et dissimule quelque chose. Cela correspond en français au terme de « Voile » qui voile, autrement dit, masque et protège quelque chose. Le synonyme de Hijab en arabe c’est « Satr » et correspond à toute chose qui sépare comme un mur, un paravent ou tout autre séparation virtuelle.
On retrouve le sens de ce terme dans les versets coraniques suivants : « Quand tu récites le Coran, Nous plaçons un rideau invisible (Hijab) entre toi et ceux qui ne croient pas à la vie future » Coran 17 ;45.
« Il n’est pas donné à un homme, que Dieu lui parle directement, si ce n’est pas inspiration ou derrière un voile (Hijab) ou par l’envoi d’un messager qui lui révèle, par Sa permission, ce qu’il veut. » Coran 42 ; 51.
Mais le verset qui a été le plus souvent utilisé pour prouver « l’obligation » de voiler les femmes et dans lequel on retrouve encore un fois le terme de Hijab[1] est celui qui affirme : « Ô croyants n’entrez dans les demeures du prophète que si vous êtes invités….Quand vous demandez quelque chose aux épouses du Prophète, faites-le derrière un voile (Hijab)… » Coran 33 ;53.
Ce verset a été révélé lors du mariage du prophète avec Zeynab Bint Jahch. En effet, le prophète en cette occasion a tenu a invité un grand nombre de personnes pour un repas de fête organisé dans sa petite demeure.
La tradition raconte qu’après le repas, trois hommes sont restés à discuter entre eux très tard dans la nuit alors qu’il ne restait plus dans la pièce que le prophète accompagné de la mariée.
Le prophète connu pour son extrême courtoisie n’a pas pu s’excuser auprès de ces derniers invités et s’étant retrouvé très gêné par cette situation, c’est la Révélation de ce verset qui est venue en quelque sorte le délivrer…[2].
D’autres versions reprennent la même explication des causes de la révélation et s’accordent sur le fait que ce verset fut énoncé afin d’éduquer les croyants de l’époque à respecter l’intimité du prophète en particulier et des gens en général et de savoir, lors d’une invitation, prendre congé au moment opportun, des hôtes de la maison.
D’autres commentateurs signalent le fait que lors de cette cérémonie, étaient présentes les autres épouses du prophète dont Aicha et la nouvelle mariée qui mangeaient à la même table que les autres invités, ce qui a finit par exaspérer le compagnon du prophète Omar Ibn al Khattab connu pour sa rigueur et son conservatisme. A plusieurs occasions, ce dernier avait réitéré au prophète la nécessité de dresser un Hijab ou rideau entre les hommes étrangers qui rentraient dans la demeure du prophète et ses épouses dans le but de leur préserver le respect qui leur est due[3].
Donc il est évident ici que ce verset a été révélé dans un but pédagogique, celui de respecter l’intimité d’abord du prophète qui du fait de son statut spécifique de Messager avait droit à un respect particulier lui et ses épouses. Cet événement a définitivement permit aux épouses du prophète d’accéder au statut particulier de « Mère des Croyants » et d’être respectés et honorées par tous les membres de la communauté[4].
Le Hijab - en tant que devanture et non pas en tant qu’habit - qui a été instauré ici et dont il s’agit, concerne uniquement les épouses du prophète et répond à une nécessité conjoncturelle de l’époque où il fallait préserver l’intimité du prophète et sa vie privée. Cela ne correspond donc en aucun cas à un modèle de vêtement ou de comportement vestimentaire particulier. L’esprit de cette prescription était surtout d’éduquer les arabes de l’époque à respecter l’intimité des gens et à les initier aux bonnes manières.
Il faudrait aussi noter que le Hijab, tel qu’il fût décrété à cette période, ne consistait pas du tout à « cloitrer » les épouses du prophète dans un espace reclus et à les isoler de leur environnement. Les épouses du prophète, elles mêmes, ne l’ont pas comprit ainsi puisqu’elles pouvaient sortir et vaquer à leurs occupations comme elle le voulaient et cela n’a pas empêcher Aicha, de voyager, d’accomplir le pèlerinage et de continuer à recevoir dans sa propre demeure, même après la mort du prophète, de nombreux compagnons mais aussi les savants de contrée lointaine qui venaient chez elle en quête de son immense savoir dans les sciences religieuses[5].
Il est donc tout a fait clair que le terme de Hijab ne correspond absolument pas à la signification qu’on lui donne actuellement et qui est celle du foulard recouvrant la tête et qui est, dans la même logique, incorrectement traduite en français par l’expression Voile. Le Hijab n’a absolument rien à voir avec une quelconque tenue islamique des femmes, il s’agit comme on l’a vu, d’un symbole de séparation, entre la vie publique et la vie privé du temps du prophète et qui a eu pour but la consécration des épouses du prophète en Mères des croyants.
Le foulard dont parle le Coran…
C’est dans un autre verset coranique que l’on retrouve le terme qui correspond dans sa signification exacte à un foulard ou écharpe. Ce verset énonce ce qui suit : « …Dis également aux croyantes de ne laisser paraître de leurs beauté (zinatouhouna) que ce qui en paraît et de rabattre leurs écharpes (khoumourihina) sur leur poitrine (jouyoubihina) et à ne montrer leurs atours qu’à leurs époux, leurs pères, leurs beaux pères, leurs fils, leurs frères, leurs neveux…. » Coran 24 ;31
C’est donc ce verset coranique – et non celui qui parle de Hijab - qui précise certains « aspects » du comportement vestimentaire des femmes croyantes dont notamment celui du foulard.
Le terme de khoumourihina pluriel de khimar évoqué dans ce verset désigne le foulard ou écharpe que portaient en ce temps là les femmes dans la péninsule arabique mais aussi dans toutes les autres civilisations de l’époque.
Le Coran invite les croyantes à rabattre les pans de leurs écharpes ou khimar sur leur poitrine (jouyoubihina) afin de dissimuler la partie haute de leurs bustes et ce, quand elles doivent sortir dans l’espace public.
En effet, les commentaires classiques, rapportent que les femmes arabes de la Mecque avaient l’habitude pour sortir de porter leurs foulards (khimar) en rabattant ses pans derrière leur cou, autrement dit, en laissant la gorge et le haut de la poitrine découverts, d’où l’injonction coranique qui invitait les femmes croyantes à rabattre leurs pans de khimar sur leurs bustes.
Le Coran précise aussi aux croyantes de ne laisser paraître de leurs « attraits », traduit par « zinatouhouna » que ce qui normalement reste apparent ou selon le Coran « ce qui en paraît ».
Concernant l’expression « ce qui en paraît », Ibn Abass l’explique comme étant « le visage et les mains ». C’est ce à quoi la majorité des exégètes et savants musulmans vont conclure concernant ce verset, autrement dit, que les croyantes doivent couvrir leurs cheveux par un khimar et ne laisser paraître que leur visage et leurs mains. Le verset semble aussi assez explicite, puisqu’il prescrit que les femmes ne devraient montrer leurs atours qu’en présence d’hommes qui n’ont pas de rapport de parenté direct avec elles. En effet, le reste du verset, cite de manière assez exhaustive la liste des hommes auprès desquels les femmes peuvent laisser paraître leurs attraits comme, leurs pères, leurs beaux pères, leurs frères, leurs neveux ect…
Une minorité des savants appartenant à l’école Hanbalite préconise que les femmes doivent se couvrir entièrement et que même les mains et le visage doivent être dissimulés, car faisant partie de ces « atours » décrits par le Coran. C’est cette même école qui prescrit donc le Niquab ou la Burqua et qui considère que tout le corps des femmes est « illicite » à voir.
Leur argumentaire ne provient pas du Coran où le verset sur le khimar est clair et ne donne pas plus de détails sur le comportement vestimentaire. Leur justificatif est essentiellement culturel et relève des traditions de certaines régions de l’Arabie qui sont restés très à cheval sur leurs coutumes vestimentaires ancestrales.
Il est à rappeler que couvrir la face des femmes reviendrait a annuler une prescription coranique à savoir celle du « ghad el bassar » et donc il n’y aurait aucun sens à recommander le respect de cette éthique du regard comme le préconise le Coran.
Une autre preuve vient conforter l’idée que le Niquab n’a aucune origine coranique est la présence d’une tradition du prophète qui rapporte l’interdiction de ce voile du visage Niquab lors du pèlerinage et dans l’enceinte de la Kaaba. Ce qui confirme l’origine culturelle de ce vêtement connue dans la tradition antéislamique mais, fait plus important, que le visage découvert était une obligation au sein de l’endroit le plus sacré en Islam, à savoir l’enceinte sacrée de la Kaaba, ce qui contredit fortement l’argumentaire des adeptes de ce vêtement intégral.
Entre Hijab et Khimar : un glissement sémantique fortuit ?
Ayant fait cette distinction importante entre Hijab et Khimar, on serait en droit ici de se demander pourquoi remarquons nous cette persistance linguistique à utiliser le terme de Hijab pour ce qui a été désigné par le texte coranique comme étant un Khimar ou foulard ?
L’on constate avec étonnement comment cette confusion sémantique a fini par être généralisée et intériorisée et ce dans toutes les sociétés et communautés musulmanes, qui depuis l’élite savante, en passant par les académiciens, jusqu’au commun des mortels, tous sans exception, utilisent de façon erroné le terme de Hijab pour désigner ce qui étymologiquement a pour dénomination Khimar.
Il va sans dire qu’actuellement, l’erreur sémantique, s’étant tellement répandue et sa reproduction inconsciente s’étant à ce point systématisée, il est devenu presque impossible de tenter de la rectifier de façon rationnelle.
Il est assez surprenant aussi de voir comment au niveau académique et à l’échelle des institutions religieuses et malgré la confusion régnante, aucune tentative de rectification n’a été pensée encore moins amorcée.
D’aucuns affirmeront que cette erreur sémantique est de l’ordre du négligeable et qu’il serait absurde de rectifier cette mégarde linguistique alors que son usage a été généralisé et accepté selon un consensus tacite.
Mais, il convient de constater, que devant l’étendue des dégâts provoquée par les débats stériles sur la thématique du dit « Hijab » et devant la confusion qui règne dans les esprits quant à son instrumentalisation religieuse, il est devenu urgent d’attirer l’attention sur cette problématique qui ne pourra, d’ailleurs, être résolue, que si l’on déconstruit toute la littérature conceptuelle qui l’a fondé.
Certes, actuellement cette erreur n’est pas induite volontairement et elle reste dans la majorité des cas reproduite inconsciemment mais force est de constater que l’origine de ce glissement sémantique à travers l’histoire de la production intellectuelle islamique, n’est, par contre, pas innocent et n’a pas été fortuit.
Les glissements sémantiques, justement sont généralement le produit d’interprétations et de traductions incorrectes et obéissent à des impératifs d’ordre socioculturel, qui à un moment donné de l’histoire tentent de forger des concepts « sur mesure » en relation avec l’ordre politique établi.
Et c’est bien ce qui s’est passé avec ce Hijab forcé que l’on a voulu à tout prix imposer aux femmes musulmanes en le transposant volontairement dans le registre de l’éthique corporelle en islam.
Quand on revient à l’origine du terme Hijab, et qui comme on l’a déjà vu, signifie « cacher » ou « séparer » et qu’on constate le processus de transformation qu’il a subit pour devenir « foulard », on est en droit de nous demander si ce concept n’a pas été finalement utilisé justement dans ce double sens afin de justifier religieusement parlant l’enfermement des femmes musulmanes.
On a imposé le « Hijab » aux femmes musulmanes dans son sens de « séparation » afin de bien indiquer à ces dernières où est leur place dans la société, autrement dit afin de les cantonner, au nom de l’islam, dans la relégation et l’ombre, loin de la sphère sociopolitique.
Remplacer ainsi le Khimar par le Hijab c’est intervertir des champs sémantiques et conceptuels différents voire opposés afin de cautionner, au nom de l’islam, l’enfermement des femmes derrière un rideau et de les exclure de l’espace sociopolitique !
En effet, substituer le Khimar par le Hijab c’est confondre deux registres très différents l’un de l’autre. Alors que le Khimar reste, selon la vision coranique, incontestablement un signe de visibilité sociale de la femme, voire de participation sociale active, le Hijab, est quant à lui, incontestablement le signe de la relégation à l’espace privé et à celui de l’intimité. C’est ainsi que par analogie, le terme de Hijab, symbolise le confinement du corps des femmes à l’intérieur de la sphère de la Fitna ou de la tentation et de la Awra autrement dit celle de l’impudeur et de la honte…
C’est à l’intérieur de ces deux concepts, Fitna et Awra, véritables « effets collatéraux » du Hijab, qui, faut-il le rappeler ne sont nulle part retrouvés dans ce sens dans le Coran, que l’on va enfermer les femmes musulmanes et les condamner éternellement le long de l’histoire de cette civilisation.
Il serait intéressant de prospecter , historiquement parlant, à quand remonte cette substitution conceptuelle du Khimar par Hijab dans le discours et la production juridique islamique, puisque du temps de la révélation et des premières périodes de la civilisation islamique, on ne retrouve pas dans les écrits ou faits sociaux de l’époque des signes révélant cette confusion entre les deux concepts.
D’ailleurs, les premières musulmanes qui avaient opté pour le Khimar, selon son sens coranique et après la révélation du verset, l’ont fait délibérément et comme un signe d’affirmation profonde de leur libération.
En « portant » le Khimar ou écharpe dont parle le Coran, elles revendiquaient en même temps leur affranchissement des traditions discriminatoires qui les avaient juridiquement et socialement dévalorisées.
Les versets concernant l’éthique vestimentaire des femmes, dont notamment celui qui parle de Khimar sont d’ailleurs à relire concomitamment avec ceux qui donnaient aux femmes musulmanes le droit à l’indépendance économique, à l’héritage, au libre choix du conjoint, à la participation sociale et politique.
Et c’est ainsi que les premières femmes musulmanes en souscrivant à cette prescription du Khimar , l’ont d’abord compris comme faisant partie intégrante d’un profond message de libération et comme le symbole d’une dignité enfin retrouvée.
Cette conception globale de l’esprit du Coran et l’approche holistique du message spirituel sont importants, voire essentiels, à connaître et à considérer, pour qui veut comprendre le sens profond de ces versets.
Ce n’est donc pas tant le Khimar qui est important – puisqu’il existait avant - mais c’est le nouveau sens qu’il prend et le contexte dans lequel il s’articule à savoir celui de la libération des femmes, qui sont à valoriser en particulier.
Le Khimar , selon son sens premier de libération des femmes et comme symbole de leur participation, aux côté des hommes dans l’espace sociopolitique, va cependant au fur et à mesure être remplacé par cet autre concept coranique de Hijab pour contrecarrer justement la présence et la participation sociale des femmes.
Sacraliser le Hijab et soustraire du vocabulaire islamique le Khimar c’est inventer un nouveau code social pour cautionner islamiquement parlant la séparation entre les hommes et les femmes.
Le Hijab – ainsi que sa traduction dans toutes les langues par Voile - sera dorénavant érigé comme l’emblème de l’islam et notamment par l’intermédiaire du corps de la femme que l’on va « voiler » et marginaliser dans les recoins de l’histoire, afin de sauvegarder les structures patriarcales, mises à mal, au début, par le message libérateur du Coran.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans toutes les traditions religieuses où le voile, réduit à son sens étymologique, à savoir, celui de « cacher », a été l’outil incontournable de la soumission de la femme à l’ordre patriarcal.
Et dans les sociétés musulmanes, en « voilant » les femmes, on va leur usurper tous les droits acquis avec l’avènement de l’islam et le « voile » comme Hijab représentera à lui seul le puissant révélateur de la détérioration du statut juridique de la femme en terre d’islam, puisqu’au nom de ce symbole, on va la cloîtrer, l’exclure de l’espace publique, du reste du monde, l’exclure de la vie…
Totalement invisible, la femme « voilée » derrière un Hijab, imposée par la loi des Hommes et non de Dieu deviendra paradoxalement la seule image visible d’un islam en décadence.
La confusion entretenue entre Hijab et Khimar est finalement politiquement très subtile et elle sert avant tout les intérêts des différentes idéologies en cours. Aussi bien les musulmans radicaux, que les tenants de l’islam étatique officiel sans oublier les nouveaux penseurs de l’islamophobie moderne. Tous, se font une joie d’ériger le « voile » ou Hijab, en étendard de l’islam d’aujourd’hui, à défendre ou à vilipender, c’est selon… mais au fond c’est la même logique d’exclusion qui les motive…
Conclusion
On a vu comment le Coran transmet en filigrane ses orientations éthiques en relation avec le corps en se dirigeant aux femmes et hommes sans distinction particulière, mise à part, les deux versets qui parlent de Khimar et de Jilbab. Ces derniers, sont d’ailleurs les deux seuls versets qui évoquent l’éthique vestimentaire sans pour autant rentrer dans les détails secondaires que l’on retrouve aujourd’hui précisés rigoureusement dans les livres destinés aux « musulmanes pratiquantes » !
Malheureusement, aujourd’hui, toute cette éthique coranique semble être réduite au seul comportement vestimentaire des femmes, et uniquement à elles… A leurs corps, à la façon précise dont elles doivent être recouvertes, à la couleur et l’épaisseur du tissu, à l’uniformité de l’habit …Or, étant donné que le Coran n’a pas insisté, outre mesure, sur des vêtements spécifiques ou un aspect extérieur précis des femmes, il serait très réducteur d’analyser les quelques versets sur le vestimentaire en dehors de l’ensemble des orientations du message spirituel quant à l’éthique globale du corps et qui concerne autant les hommes que les femmes.
C’est à un comportement de « décence » et de « sobriété », aussi bien physique que morale, auquel le Coran invite les croyants et les croyantes. Concernant les femmes, la formulation générale et subtile autour d’une certaine « apparence extérieure » est la preuve de la grande «latitude » offerte par le message spirituel à ces dernières afin de leur permettre ainsi de concilier entre leurs convictions spirituelles et leur contexte social respectif.
Le Coran ne légifère en rien sur la nécessité d’un « uniforme » religieux qui serait strictement «islamique » comme on aime à le démontrer actuellement et l’intention spirituelle première n’était pas de déterminer des normes vestimentaires rigides ou figées qui seraient « fixées » une fois pour toute mais plutôt de « recommander » une « attitude » voire une « éthique » autant par rapport au corps que par rapport à l’esprit.
Mais, il est réellement malheureux de constater que cette première intention du message spirituel de l’islam est souvent omise voire complètement ignorée au détriment d’une lecture littéraliste qui ne retiendra de tout l’enseignement coranique concernant les femmes que «l’obligation de porter le Hijab » ! Ce qui va à l’encontre des principes du message spirituel et de son éthique spirituelle.
La question du Khimar ou foulard fait partie des valeurs de la morale, du comportement et de l’éthique de l’islam. Cela relève de ce que est désigné par les sciences islamiques comme étant du domaine des « muamalates » autrement dit du champ social ou actions sociales et non du domaine des « ibadates » ou du dogme.
Une conviction religieuse ayant attrait à la foi n’a de sens que quand elle est vécue sans contrainte. Et donc parler d’imposition islamique de porter le foulard ou Khimar ne peut être acceptable spirituellement parlant car là aussi le Coran est clair : « Nul contrainte en religion». C’est là, l’un des principes fondamentaux de l’islam.
Et puis, réduire l’ensemble de cette éthique globale du Coran concernant le corps à cette thématique du dit « voile » c’est aller à l’encontre de ce même message. Et c’est exactement ce qui s’est passé au cours de l’histoire islamique puisque à force de focaliser l’ensemble du message sur l’unique comportement vestimentaire de la femme, sur l’obligation qu’aurait la femme de «cacher » et de « voiler » son corps, nous sommes arrivés dans le monde musulman à donner à ce signe spirituel une symbolique d’oppression qu’il est difficile de rectifier.
Pour les femmes musulmanes d’aujourd’hui le véritable défi c’est de retrouver le souffle libérateur du message spirituel de l’islam. Porter le foulard n’est pas une finalité spirituelle en soi.
Celles qui n’en « ressentiront » pas la nécessité ont le libre choix de vivre leur spiritualité en dehors de cette norme vestimentaire. Et celles qui « ressentiront » cette prescription et qui la perçoive comme une expérience profonde d’intimité et d’intériorité avec le Créateur ont elles aussi le libre choix de vivre leur spiritualité à l’intérieur de cette norme vestimentaire.
Dans les deux cas il s’agit de vivre sa spiritualité selon la même démarche libératrice.
Le foulard, fait partie de l’éthique et il est avant tout un droit des femmes…Celles-ci ci doivent avoir le droit de choisir de le porter ou non en connaissance de cause, puisque le droit de le porter est inéluctablement lié au droit de ne pas le porter.
Il faudrait aussi tenter de sortir de la vision binaire qui a toujours accompagné cette thématique et cesser d’utiliser ce khimar ou foulard comme un critère d’évaluation des femmes musulmanes. Selon la vision idéologique à laquelle on adhère, les uns le considère comme un critère d’oppression et celle qui ne le porte pas est forcément jugée comme étant émancipée alors que pour d’autres il est le révélateur du degré de foi et ne pas le porter est symptomatique d’un manque de conviction ou de la faiblesse de la foi.
Or, on ne le redira jamais assez, la foi ne se mesure pas à travers ces critères d’apparence et on ne peut se permettre de porter des jugements de valeurs sur les personnes en fonction de leur comportement vestimentaire.
Il est donc clair que le but principal du Coran est d’inciter hommes et femmes à se libérer de toutes les aliénations matérialistes et des codes de la séduction, propre à chaque époque et qui ne sont finalement que les projections concrètes des idéologies dominantes récurrentes à travers l’histoire de la civilisation humaine.
L’injonction coranique convie, hommes et femmes, à s’approprier une culture de la décence et du respect réciproque et c’est ce qui est reflété dans ce verset central : « … mais le meilleur vêtement est certes celui de la Taqwa (libass a-Taquwa) , C’est là un des Signes de Dieu » …
Et c’est, sans aucun doute, ce verset qui résume à lui seul ce que l’on doit retenir aujourd’hui, dans ce grand chaos de la consommation ultralibérale, de l’exubérance, du culte de l’apparence et de l’arrogance, comme éthique de l’islam : Libass at-Taqwa, le vêtement de l’intériorité qui inéluctablement se reflète dans l’extériorité des actes et de l’agir de chaque homme et de chaque femme…C’est cette éthique de l’intériorité, de la rigueur morale et de la décence qui est préférable aux yeux du Créateur…
* Extrait du livre « Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ? »
[1] Les versets dans lesquels on retrouve le terme de Hijab : 7 ; 46, 17 ;45, 19 ;17, 38 ;32, 41 ;5, 42 ; 51 et 33 ;53
[2] Voir Tafssir Ibn Kathir et al Qortobi de ce verset.
[3] Tafssir al Qortobi.
[4] Atahrir wa Atanwir , Ibn Achour, tafssir du verset.
[5] Pour plus de détails, voir notre essai: « Aisha, épouse du prophète où l’islam au féminin », Editions Tawhid.
À propos de l'auteur
ASMA LAMRABET
Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.