L’imamat des femmes en Islam
Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit d’être imam ? Y aurait-il un passage du Coran ou un récit de la tradition du Prophète qui l’interdit ?
On peut répondre sans ambiguïté qu’il n’existe aucun verset coranique ni récit de la Sunna qui l’interdit formellement.
L’imam désigne usuellement la personne qui guide la prière en communauté. Or, étymologiquement, dans le Coran, le terme d’imam ne renvoie pas expressément à la direction de la prière, mais plutôt à la guidance : l’imam est celui qui guide vers la bonne et juste voie[1]. L’imamat reflète donc une dimension d’exemplarité, souvent incarnée par les Prophètes en tant que guides temporels pour chaque communauté, mais aussi par tous ceux qui sont dans l’excellence de l’action. Cette qualité est donc assignée à toute personne savante, sage, érudite, qui dirige sa communauté ou son peuple, que ce soit dans un acte politique ou cultuel.
L’imam, en tant que guide spirituel de la prière, doit selon la jurisprudence islamique répondre à certains critères : être musulman, qualifié – par son apprentissage du Coran (hafidh al-qur’an) et son érudition (faqih) –, pubère pour les prières obligatoires[2], du genre masculin en général (sauf pour certaines écoles juridiques) et enfin sain d’esprit[3].
C’est sur la question de l’aptitude des femmes à être imam qu’il y a eu divergence entre les fondateurs des quatre écoles juridiques. La grande majorité (jumhur) affirme que l’imamat des femmes pour les hommes est interdit. Cependant, toutes les écoles juridiques ont accepté l’imamat des femmes pour les femmes, sauf l’imam Malik et son école qui sont les plus intransigeants sur cette question et refusent toute prière guidée par une femme[4].
Certains savants, tels que Abu Thawr, Al-Tabari, Al-Mazani et Ibn Arabi, ont permis l’imamat des femmes, mais pour des communautés mixtes restreintes, en privé, pour les prières non obligatoires (tarawih, prières nocturnes du mois de Ramadan) et à condition que les femmes prennent place derrière celles des hommes[5].
L’un des arguments les plus développés par les partisans de l’imamat des femmes pour les hommes est le hadith du Prophète concernant l’autorisation donnée à une femme nommé Oum Waraqa, reconnue à l’époque pour son érudition et sa connaissance du Coran. Ce hadith, cité par Abu Dawud, affirme en effet : « Le Prophète, qui rendait souvent visite à Oum Waraqa, lui permit d’avoir un muezzin pour l’appel à la prière et lui ordonna de diriger la prière au sein de sa communauté (an tui’m ahl dariha). »[6]
Certains théologiens critiquent le fait que ce hadith autorise l’imamat de Oum Waraqa pour les proches de sa famille restreinte, ahl dariha, dans l’enceinte de sa maison. Mais dans ce cas, quelle est la pertinence d’avoir recours à un muezzin si cela doit être limité à sa maison ? La présence d’un muezzin est en effet nécessaire pour l’appel à la prière quand il s’agit d’une assez grande communauté se trouvant dans un espace plus important.
Ibn Rochd, dans son chapitre sur l’imamat des femmes, affirme que cette question est loin d’être résolue, du fait de la divergence des théologiens mais aussi et surtout, vu le silence des Textes sacrés[7].
Ainsi, sur cette question de l’imamat des femmes, le Coran ne se prononce pas et la Sunna offre un hadith assez pertinent. Qu’il y ait absence de consensus et une claire divergence des théologiens et des différentes écoles juridiques, prouve encore une fois que cette soi-disant interdiction formelle est le fait d’une majorité (jumhur) de savants qui sont contre, et qu’on ne peut parler d’unanimité.
Or, en l’absence de textes concrets et de preuves théologiques indéniables, la majorité des arguments en faveur d’une interdiction de l’imamat des femmes tournent autour de deux points : d’abord l’absence de cette pratique chez les premiers musulmans et les prédécesseurs des premières générations, et surtout l’indécence de la position des femmes qui doivent guider les prières et se placer devant les hommes[8].
En effet, les théologiens évoquent l’impossibilité pour les hommes de se concentrer sur la prière à la vue d’une femme qui en effectuerait la gestuelle devant eux. Le fait que les hommes en soient distraits et déstabilisés rendrait, selon eux, leur prière inopérante et invalide d’un point de vue théologique. Il s’agit encore une fois du corps des femmes et de cette sempiternelle tentation que ressentiraient des hommes incapables de maîtriser leurs désirs et leurs pulsions sexuelles, même au sein d’un espace censé symboliser le sacré, la spiritualité et la transcendance ! Il est vraiment navrant de voir l’incohérence de tels arguments énoncés par des savants religieux contemporains[9].
La jurisprudence musulmane médiévale a fait preuve de plus de civilité, puisqu’un certain nombre de juristes ne voyaient aucun inconvénient à l’imamat des femmes, même dans des congrégations mixtes, et que la condition du positionnement des femmes y était soulevée avec plus de tact, semblant être plus une question de décence que de tentation.
Dans le même esprit, les textes de jurisprudence islamique médiévale des différentes écoles juridiques donnent la possibilité aux femmes d’accéder à la fonction de muezzin, selon l’école d’Abu Hanifa[10]!
L’interdiction faite aux femmes d’accéder aux fonctions d’autorité politique ou religieuse, n’a donc aucun fondement à proprement dit théologique et relève plutôt des mentalités, coutumes et normes sociales et culturelles. Il faudrait qu’on cesse, à chaque fois qu’on cherche à justifier l’exclusion des femmes de l’espace public, du politique et du sacré, de se rabattre sur le religieux afin de cautionner toutes les discriminations.
Encore une fois, l’éthique du message spirituel est là pour nous « guider » (une sorte d’imamat !) vers une société de justesse, de droits et d’égalité. C’est toujours au bon sens et à la cohérence que le Texte coranique et la tradition du Prophète nous invitent. Et aujourd’hui plus qu’hier, il est temps, sur ces questions, de cesser de véhiculer des contresens abusifs, archaïques et indécents sur les femmes, qui sont une atteinte à leur intelligence et à leur dignité d’êtres humains, pour revenir à cette éthique du sens commun, de la logique et de la raison.
Asma Lamrabet
[1] Cf. Lisan al-‘arab d’Ibn Mandhour, Tome 1. Exemples de versets dans lesquels on trouve le terme d’imam au singulier ou au pluriel : « Et ceux qui disent : Seigneur, fais que nos partenaires et nos enfants soient pour nous source de bonheur et fais de nous un modèle de guidance (imam) pour les pieux. » (Coran, 25 ; 74) ; ou : « Or Nous voulions apporter Notre aide à ces opprimés sur terre et faire d’eux des dirigeants (Aimatan) et des héritiers. » (Coran, 28 ; 5). Voir aussi Coran, 21 ; 73, Coran, 2 ; 124 et Coran, 36, ; 12.
[2] L’enfant qui a mémorisé le Coran peut guider une prière surérogatoire.
[3] Sur les conditions requises pour l’imamat dans l’étude comparative des quatre écoles juridiques sunnites, voir Abderrahmane al-Jezri, Al- qh ‘ala al-madhahib al-arba‘a (op. cit.), p. 242.
[4] Ibid.
[5] Voir pour plus de détails Ibn Rochd, Bidayat al-mujtahid wa nihayat al-muqtasid, op. cit., Tome 1, p. 263, et aussi Jamal al-Banna, Imamatu al-mar’a, Damas, Dar Betra li l-nachr, 2008.
[6] Le hadith est transmis par Abu Dawud numéro 591 dans Sunan Abi Daoud, chapitre de la prière 21 et par l’imam Ahmed ; voir références dans l’ouvrage juridique d’Ibn Rochd, Bidāyat al-mujtahid wa nihāyat al-muqtassid, Beyrouth, Dar al-Jayl, 2004, Tome II,p. 263.
[7] Ibn Rochd, Bidāyat al-mujtahid wa nihāyat al-muqtassid, Beyrouth, Dar al-Jayl, 2004, Tome II, p. 112. Il est intéressant de noter que l’imamat féminin répondait au XIIème siècle à un besoin de clarification juridique et d’actualisation, comme le démontre Ibn Rochd, qui a compilé dans son ouvrage les avis contradictoires sur le sujet, alors qu’aujourd’hui, c’est une question taboue et qu’en débattre est considéré comme un blasphème.
[8] Voir ouvrage de Jamal al-Banna ; les détails de toutes les fatwas contemporaines émises par différentes personnalités religieuses du monde arabe sur cette question, et notamment contre l’initiative médiatisée d’Amina Wadud qui a dirigé la prière à New York en 2005, ce qui a provoqué un scandale et une désapprobation générale dans la hiérarchie orthodoxe musulmane. AL-BANNA, Jamal, Imamatu al-mar’a, Damas, Dar Bitra, 2008, p. 28.
[9] Voir commentaires dans ce sens du savant al-Qaradawi dans le livre d’al-Banna, op. cit., page 52.
[10] L’école juridique d’Abu Hanifa, à la différence des autres écoles, a permis non seulement aux femmes mais aussi aux non musulmans d’être muezzins. Voir pour plus de détails l’ouvrage de Abderrahmane al-Jezri, Al- qh ‘ala al-madhahib al-arba‘a, (op. cit.), p. 189.
À propos de l'auteur
ASMA LAMRABET
Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.