Femmes et Religions : émergence de nouvelles voix féminines
Femmes et Religions : émergence de nouvelles voix féminines
Asma Lamrabet
Une histoire de misogynie religieuse universelle…
L’image dépréciative envers les femmes est ancienne et profondément enracinée dans les sociétés humaines et ce quelque soit le contexte culturel. Bien avant les révélations monothéistes, Aristote décrivait déjà la subordination des femmes comme étant « naturelle »[1]. Cette « infériorité naturelle » va ainsi constituer le terrain fertile sur lequel vont se projeter les monothéismes à venir. En effet, on retrouve dans toutes les traditions religieuses une vision commune androcentrique et une représentation stéréotypée des femmes, reléguées dans des grilles de lecture misogyne où il est de bon ton de les mépriser au nom du sacré.
Il serait utile ici de se poser, à ce niveau, cette question toute simple : Est ce vraiment le religieux qui opprime les femmes ou tout un système socioculturel qui se réapproprie de façon récurrente le « sacré » afin de mieux asseoir son pouvoir ?
Nul ne peut nier que toutes les religions se soient développées au sein d’un terreau culturel structurellement patriarcal et qu’elles ont ainsi, toutes, tenter de « s’accommoder » des codes sociaux et des coutumes traditionnelles dans lesquelles elles se sont projetées.
Cependant, il faudrait toujours savoir garder en tête les deux dimensions – spirituelle et institutionnelle - autour desquelles s’articulent le «religieux », même s’il est certes aujourd’hui difficile de faire la part des choses entre ces deux dimensions devenues forcément imbriquées avec le temps.
En effet, toute notion de religion implique un contenu spirituel, celui de l’expression personnelle - et ou collective de la foi et des croyances - et un contenu institutionnel représentatif des « systèmes religieux ».
Ces systèmes religieux, édifiés en institutions exclusivement masculines, comme l’Eglise et son clergé, les Rabbins, les Ulémas et Imams, les moines et gardiens des Temples, ont largement puisé dans les sources scripturaires, afin de construire un discours qui a établit officiellement une hiérarchisation des sexes en justifiant l’inégalité et la soumission des femmes au nom du religieux.
De nouvelles voix féminines au nom du religieux…
L’avènement de la modernité et de la sécularisation, particulièrement en Occident, a relégué les différents systèmes religieux dans les arrières fonds de l’histoire et de l’évolution sociale. Le contentieux historique entre les religions et les femmes étant ce qu’il est, il est facile de comprendre comment une certaine histoire « universelle » du féminisme s’est en grande partie forgée en opposition avec tout ce qui relève du religieux.
Cependant, et malgré les grandes « batailles » gagnées ainsi que les grandes avancées et acquis de l’émancipation des femmes au sein du monde moderne, l’idéal égalitaire est encore loin d’être établi et l’oppression des femmes n’a pas totalement disparue . En effet, même dans les sociétés où la «sortie du religieux» est évidente, les manifestations plurielles d’une culture de discrimination envers les femmes restent là, transversales à toutes les autres formes de domination, d’exploitation et de violences.
L’une des crises majeures de la modernité a été sans aucun doute la crise du « vide spirituel » et la « quête de sens » générés par un monde où le matérialisme à outrance et les lois implacables d’une finance mondialisée déshumanisante ont fini par créer ce que d’aucuns ont nommé « le Mal être contemporain »[2].
C’est ainsi que de nombreuses femmes appartenant aux différentes religions monothéistes ont depuis un certain nombre d’années maintenant, décider de se réapproprier le religieux et de déconstruire la lecture patriarcale qui les a marginalisé de l’histoire. Elles ont compris que ce n’était pas, à proprement dit, le message spirituel de leurs traditions religieuses respectives, qui les opprimaient, mais bien son instrumentalisation par les différents systèmes et institutions religieuses.
C’est ainsi que des femmes juives contemporaines s’insurgent aujourd’hui contre le monopole religieux masculin en se réappropriant ce qui a de tout temps était entre les seuls mains des hommes : le savoir religieux.
C’est ce que précise Delphine Horvilleur femme rabbin en France : « …Il y a longtemps eu une volonté du contrôle du féminin. En interdisant aux femmes l’étude de la Torah qui est au cœur de la tradition, on les isolait du pouvoir pour mieux les contrôler. »[3] . Des rabbins hommes sont aussi conscients de ces problèmes et déplorent la rigidité de certaines lectures traditionnalistes comme le souligne le rabbin Philippe Haddad : « …des textes font l’apologie de la femme alors que d’autres sont plus sexistes, voire franchement misogynes. Les rabbins ont donné leurs opinions personnelles en tant qu’hommes mais ce n’est pas la voie de Dieu qui s’est exprimé. »[4].
Des femmes juives luttent donc pour que les instances rabbiniques s’adaptent aux normes égalitaires de l’époque actuelle et que la loi juive réponde aux exigences du temps. La formulation juridique de la Loi juive, comme le soutiennent certains académiciens juifs, est appelé à évoluer et à garder en tête l’esprit des règles qui à un certain moment de l’histoire ont été les garantes de l’identité féminine juive mais qui actuellement appliqués sans discernement dans un contexte radicalement différent ne peuvent qu’engendrer la pire des injustices. « La misogynie est contraire à un Dieu juste » rappelle, à juste titre, Pauline Bebe, première femme rabbin en France, consciente de que c’est à partir d’un travail forgé de l’intérieur du judaïsme qu’une évolution des mentalités se fera.
Au sein du Christianisme aussi les femmes bougent. Le féminisme de la théologie de libération en Amérique Latine, s’est inscrit dans cette perspective de l’émancipation des femmes à partir d’une lecture égalitaire des sources religieuses et en faveur des opprimés sur terre[5]. Les féministes chrétiennes ont démontré qu’à travers toutes les écritures et les Textes retrouvés aussi bien dans l’Ancien ou Nouveau Testament , ce sont les interprétations confortant l’inégalité et l’infériorité des femmes qui ont été retenues. Alors que toute la révolution culturelle et religieuse prônée par Jésus en faveur de la libération et dignité des femmes a été expurgée ou mise sous silence afin de mieux pérenniser la supériorité des hommes et surtout écarter les femmes de tout rôle au sein de la religion.
La brèche ouverte pas Jésus à travers l’égalité et le partage a vite été refermée par une théologie qui représente un Dieu masculin tout puissant et de ce fait renforce le pouvoir des clercs : « Si Dieu est mâle alors le mâle est Dieu »[6].
Mais quoique aussi paradoxal que cela puisse paraître et malgré la marginalisation des femmes des grandes fonctions cléricales, malgré la sécularisation et le discrédit portant sur les systèmes religieux en général, ce sont des femmes qui font tourner l’Eglise[7] ! Ce sont elles qui assurent largement la transmission de la foi et de la culture religieuse dans la majorité des sociétés chrétiennes.
Actuellement, de nombreuses voix féminines chrétiennes remettent en cause la prétendue supériorité masculine et revendiquent ainsi le droit à la parole au sein d’une Eglise dont la voix du magistère reste à 100% masculine jusqu’à aujourd’hui. C’est surement de cette relecture de l’histoire et de la tradition chrétienne à partir du souffle libérateur du message transmis initialement par Jésus que dépendra la réconciliation entre les femmes chrétiennes et l’Eglise.
Et en Islam ?…
C’est paradoxalement au sein de l’islam - religion étiquetée comme étant une religion structurellement sexiste - qu’une profonde dynamique féminine revendicative, s’est mise en marche et ce depuis maintenant plusieurs décennies. En effet, quoique cela reste encore méconnue, différents courants de ce que certains ont appelé « féminisme musulman », ont émergé dans différents contextes et selon des langages différents avec comme point commun une revendication de l’égalité et de la justice à partir du référentiel musulman.
L’essentiel du travail consiste donc à déconstruire l’interprétation patriarcale en revenant aux sources du message spirituel du Coran et en utilisant un argumentaire élaboré à travers une réappropriation du savoir religieux.[8] Ce sont des femmes qui ont ressenti la nécessité de questionner leur tradition religieuse figée par une interprétation passéiste et complètement décalée par rapport à leur réalité sociale. Une nouvelle génération de femmes musulmanes qui formule ainsi le besoin d’une troisième voie, celle qui ne ferait l’économie, ni de leur quête de sens spirituel ni de leur aspiration à une citoyenneté égalitaire dans cette modernité « mondialisée ».
Le vécu des femmes musulmanes, aussi diversifié qu’il soit, semble être représentatif d’un même dilemme, celui de femmes qui pour la plupart d’entre elles, se retrouvent déchirées entre leur appartenance culturelle - avec ses contraintes et ses contradictions - et leur ambition légitime à plus de liberté, d’autonomie et de droits égalitaires reconnus.
C’est ainsi que l’une des principales étapes dans ces mouvements a été de déconstruire le discours religieux traditionaliste et profondément discriminatoire envers les femmes tout en proposant une nouvelle lecture des textes scripturaires à partir d’une perspective féminine. Ceci, afin d’abord de pallier aux lacunes historiques dues à l’absence de la vision féminine dans la production islamique, mais aussi afin d’y apporter leurs propres perspectives et leurs propres choix de femmes musulmanes d’aujourd’hui.
Il s’agit de porter un projet sociétal et intellectuel d’émancipation des femmes selon une vision réformiste et contextualisée du religieux, longtemps sous le monopole exclusif des seuls hommes et Oulémas musulmans.
Ayant eu accès aux sources textuelles et notamment à la dimension éthique du Coran, ces femmes ont compris que ce n’est pas le message spirituel de l’islam qui est en cause dans leur réclusion millénaire, mais bien toutes les interprétations humaines, qui se sont accumulés dans les compilations religieuses mais aussi dans les mentalités défavorables à la présence féminine dans l’espace public.
Grâce à des recherches théologiques et académiques approfondies, on a pu ainsi démontrer, arguments coraniques à l’appui, que le discours sur l’égalité entre hommes et femmes est complètement valide de l’intérieur de l’islam et que les sources scripturaires ne constituent en aucun cas une entrave à l’instauration des droits égalitaires entre hommes et femmes.
Grâce à ces différentes recherches, de nombreuses interprétations imputées de façon erronée aux Textes Sacrés ont été complètement réfutées. C’est l’exemple de la création des femmes à partir d’une côte d’Adam, grand mythe de la misogynie universelle et qui est inexistant au sein du Coran, où la création humaine est absolument égalitaire[9]. C’est aussi l’exemple de la lapidation et l’excision qui sont des concepts totalement absents dans le Coran ; quant à l’autorité ou le concept de la soumission de l’épouse à l’époux en tant que chef de famille, il reste aussi infondée[10]. Le divorce, selon la lecture réformiste du Coran est un droit égalitaire et non , comme dans la majorité des pays musulmans , un droit exclusif des hommes. La relecture féminine revendique aussi le droit de refuser la polygamie, réfute l’idée de l’obligation religieuse du voile dit islamique qui doit rester de l’ordre du libre choix spirituel et propose de revoir la question de l’héritage à la lumière des évolutions sociétales où les femmes participent pleinement à la prise en charge économique de la famille.
En somme, cette relecture a permit de dénoncer tous ces soit disant interdits religieux envers les femmes que l’on nous sort à chaque occasion et qui n’existent tout simplement pas dans les textes sacrés mais dans la longue tragédie historique d’une lecture du religieux restée otage de ses propres dérives séculaires.
Il s’agit aujourd’hui donc de revendiquer une réappropriation de l’interprétation des textes sacrés par les femmes, longtemps sous le monopole exclusif des hommes, comme impératif démocratique ; car on peut poser ici une question cruciale : si la justice et l'équité sont des finalités indiscutables du Coran, comme le démontre l’analyse des textes sacrés, pourquoi cette justice et égalité ne se reflètent-elles pas sur les lectures, discours et enseignements religieux qui régissent les relations entre hommes et femmes dans la majorité des sociétés musulmanes?
Une spiritualité féminine universelle…
Il s’avère donc que malgré les divergences concrètes dans le vécu, l’historique et les dogmes propres à chaque religion, la question des femmes constitue un point commun, récurrent et transcendant de façon implacable la diversité religieuse... Chaque système religieux s’est employé à travers l’histoire a relégué les femmes dans les bas fonds d’une subordination éternelle.
Cette conception patriarcale universelle commune à toutes les lectures religieuses, doit en tant que femmes d’aujourd’hui, nous faire sortir de nos « particularismes » culturels et religieux.
Il s’agit de redécouvrir l’infinité des horizons spirituels qui nous unissent en tant que femmes victimes d’une lecture patriarcale du religieux érigé en sacré immuable. Il s’agit donc de repenser une spiritualité féminine universelle au sein d’une mondialisation dépouillée du « sens de la vie ». Une spiritualité universelle qui permettra aux femmes de chaque tradition religieuse de renforcer leurs luttes communes envers toutes les discriminations, à partir de leur propre référentiel culturel enrichi par l’apport des autres expériences spirituelles.
La vision peut paraître complexe voire utopiste mais elle permettra peut être de penser en toute liberté et sans contraintes culturalistes, la place des femmes au sein d’une nouvelle lecture des religions et du monde. Ce sont là des questionnements légitimes que l’on peut partager, avec celles et ceux qui veulent essayer de concilier des chemins, des voies, des sensibilités, pour un monde meilleur, et où au lieu d’être des victimes éternelles des « guerres de religions », les femmes seraient les instigatrices d’une « paix des religions » à travers une spiritualité féminine universelle inclusive et sans cesse réinventée…
[1] :« La relation entre le mâle et la femelle est par nature telle que le mâle est supérieur, la femelle inférieure, que le mâle dirige et que la femelle est dirigée » ; Aristote, Politique ed Loeb Classical Library, 1254b 10-14 in www.womenpriests.org/fr/tradtio/infe_gre.asp.
[2] « Se Changer, changer le monde », Collectif, L’Iconoclaste Paris, 2013.
[3] Le Monde des Religions .Janvier- Février 2009 , p 40 : « Ces femmes qui font bouger les lignes ».
[4] Colloque au Consistoire de Belgique : « Femmes juives : Halakha et Modernité ». voir supra.
[5] http://www.academia.edu/4935078/THEOLOGIE_FEMINISTE_WILBERT_GOBBO#
[6] http://www.culture-et-foi.com/critique/cil.htm
[7] Etienne Failloux : « Femmes et catholicisme dans la France contemporaine » CLIO, histoire, femmes et sociétés2 / 1995.
[8] Voir le travail effectué par les différents groupes se revendiquant du féminisme musulman comme : « Sisters in Islam » ; Mussawah ; GIERFI ; Karamah ect…
[9] Pour plus de détails concernant les arguments en faveur de l’égalité voir mon ouvrage : « Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ? » Editions La croisée des Chemins, 2012 ; Asma Lamrabet.
[10] Cela a été d’ailleurs l’une des reformes primordiales du code de la famille au Maroc de 2004 où l’ancienne notion de l’époux chef de famille a été remplacée par la notion de « coresponsabilité » des deux époux.
À propos de l'auteur
ASMA LAMRABET
Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.