Asma LAMRABET

Bilqîs, Reine de Saba, une reine démocrate…

Qui lit le Coran et s’arrête sur les versets de la Sourate « Les fourmis ; An-Naml » peut se demander pourquoi Dieu a donné en exemple la reine de Saba ? Les historiens lui ont attribué le nom de Bilqîs[i] et affirment qu’elle régnait sur le peuple de Saba dont le royaume se trouvait au Yémen. Le peuple de Saba et sa souveraine étaient connus pour leur idolâtrie et l’histoire raconte que Bilqîs vivait dans un palais doté de trois cent soixante fenêtres afin de laisser passer la lumière du soleil pour lequel elle se prosternait chaque matin[ii].

Bilqîs reçoit un jour une missive du prophète et non moins roi Salomon afin de se soumettre au Créateur de ce monde… Ce qui est intéressant dans cette histoire racontée par le Coran c’est la description que fait Dieu de cette femme… En effet, alors que la majorité des rois et gouvernants hommes cités par le Coran sont des despotes comme c’est le cas de Pharaon, de Néron et d’autres… Le modèle de Bilqîs, souveraine – femme, est, comme le décrit le Coran, celui d’une monarque certes, mais une monarque juste et éclairée. Le portrait est donc celui d’une dirigeante apparemment très à cheval sur les principes politiques d’équité et de justice. Les versets coraniques sont en effet très explicites quant à la manière de gouverner de cette illustre femme.

Dès la réception du message envoyé par Salomon elle convoque immédiatement un conseil de dignitaires, leur fait part du contenu de la lettre et leur demande de réfléchir sur la décision politique à prendre… Voilà ce que le Coran lui fait dire :« Dignitaires ! dit la reine, conseillez moi dans cette affaire ; je ne prendrai aucune décision avant de connaître votre avis. » Coran 27 ; 32 Une femme dirigeante d’un des plus riches royaumes de l’époque et qui prend la peine de « consulter » les élus de son peuple ! Ces derniers vont d’ailleurs lui faire savoir que la décision finale lui revenait à elle seule mais qu’elle pouvait compter sur leur puissance physique et matérielle :« Nous sommes, répondirent-ils, un peuple fort et d’une puissance redoutable. Mais la décision t’appartient. Vois donc toi-même les ordres que tu veux bien nous donner ! » Coran 27 ; 34

Le célèbre exégète Azamakhchari[iii] explique dans son commentaire, que les élus concertés par Bilqîs, tout en lui laissant le choix de la décision finale, ont tenu à lui faire une démonstration de leur force et de leur puissance ce qui suggère qu’ils étaient plutôt en faveur d’une action belliqueuse. Cependant, Bilqîs n’était apparemment pas d’accord avec cette approche, puisqu’elle leur proposa comme première démarche, une solution pacifique à savoir celle d’envoyer à Salomon un présent dans le but de tester sa réaction…

Une décision politique pondérée qui démontre la grande sagesse de cette reine qui fera d’ailleurs « en passant » une remarque pertinente sur le « despotisme » des rois… Remarque, pour le moins intrigante, étant elle-même reine, mais on peut y lire son souci justement d’éviter de telles dérives liées habituellement à tout pouvoir autocratique :« En vérité, dit-elle, lorsque les rois s’emparent d’une cité, ils y sèment la perversion et asservissent les meilleurs jusqu’à les rendrent sans dignité aucune. “C’est ainsi qu’habituellement ils se comportent ». Aussi vais-je leur envoyer un présent et attendre la réponse que me rapporteront les messagers. » Coran 27 ; 34

La lecture attentive de ces versets nous montre à quel point le constat de cette reine s’avère politiquement fondé… Le message politique qu’elle a voulu transmettre ici est on ne peut plus clair. Il s’agit d’une critique acerbe à l’encontre de tous ces despotismes qui s’inscrivent de façon récurrente dans l’histoire de l’humanité avec leur corollaire d’humiliation et d’oppression, vécues par des peuples, qui comme elle le dit si bien, vont jusqu’à « perdre leur dignité humaine » sous la gouvernance des pouvoirs politiques autoritaires.

Son analyse politique, par ailleurs, est d’une incroyable actualité, pour celui qui observe la désastreuse gestion du politique en terre d’islam et nous éclaire – si besoin est – sur l’exigence de justice et d’équité du message coranique. Exigence, qui constitue sans conteste la pierre angulaire du système moral et légal islamique. Ibn Abass, le célèbre et premier exégète musulman surnommé « l’interprète du Coran » ou« turjuman al Qur’an » attribue le verset suivant “C’est ainsi qu’habituellement ils se comportent » à Dieu Lui-même, qui répond au commentaire de Bilqîs et confirme donc son analyse préalable sur le système politique dictatorial. Quel témoignage plus parlant que celui-ci pourrait-on rajouter pour illustrer le jugement et la perspicacité politique de cette femme ? ! !

Bilqîs faisait donc preuve de sagesse politique mais aussi d’intelligence, car en adressant le présent à Salomon elle prenait soin d’abord d’écarter judicieusement la proposition précipitée de ses conseillers afin d’éviter une guerre inutile puis par la même occasion elle se donnait un délai de réflexion qui lui permettait d'étudier la personnalité de ce roi.

Bilqîs voulait donc tester Salomon et voir ce qu’il y avait derrière ce message où il l’exhortait à se soumettre à « Dieu l’Unique »Si ce roi acceptait son cadeau c’est que sa missive était révélatrice d’une ambition terrestre, par contre tout refus signifierait que la motivation de Salomon était plus profonde autrement dit d’ordre spirituel… Une véritable stratégie diplomatique !

Sayd Qotb perçoit à travers le personnage de cette reine, celui de la femme dans toute sa féminité… La femme qui par son instinct et son intuition féminine innée refuse les guerres et les conflits et préfère la paix et le dialogue[iv]. N’est-il pas dit que la femme personnifie une part quoique infime de l'infinie clémence ou « Rahma » de Dieu sur terre ?… Cette qualité, que certains interprètent comme un signe de faiblesse chez la femme, est bien au contraire symbolisée par le Coran comme un signe d’intelligence et de grande force morale chez cette femme reine… Une souveraine qui règne politiquement avec raison et sagesse tout en gardant son humanité de « femme » comme un don de Dieu… C’est comme si elle humanisait en quelque sorte son action politique par cette sensibilité féminine qui la rend plus proche des réalités humaines quotidiennes…

La description que nous fait le Coran de cette femme « chef d’état » est à elle seule une preuve indéniable contre toutes les allégations supposées de « l’hyperémotivité »des femmes qui « raisonnent » moins bien que les hommes du fait de l’ascendant affectif de leur personnalité et qui, suivant la même logique, ne peuvent diriger politiquement parlant, tout un peuple ! ! C’est l’explication retrouvée dans le discours de pratiquement la majorité des savants musulmans et ce quelle que soit leur époque…

La femme serait très sensible, excessivement sentimentale et donc vulnérable du point de vue affectif ce qui la rend incapable d’utiliser sa raison et dans la gestion des affaires d’état, nulle place aux sentiments ni aux émotions, c’est la raison qui prime…

Or, avancer ce genre d’argumentaire qui supposerait que la femme« raisonne moins »ou que sa « raison » est assujettie à ses sentiments, équivaut à dire qu’elle serait « moins humaine ». En effet, si l’on devait distinguer l’être humain des autres créatures terrestres l’on constaterait que c’est bien la « raison », cette capacité essentiellement « humaine » qui le différencie du reste de la création divine et qui lui permet d’accéder à cette dimension privilégiée de l’être humain avec ses capacités de raisonnement et de discernement…

En présumant donc que la femme ait des « carences »dans ce domaine-là on la prive tout simplement d’une partie de sa raison et par là de son humanité…

Dans la littérature islamique, entériner ce genre de thèses, du point de vue religieux, a toujours été une tâche facile vue l’ancrage de telles traditions dans l’imaginaire populaire qui stipule la suprématie de l’homme quelque soit le contexte ou l’environnement social… Concernant les affaires politiques et la gouvernance, l’homme étant supposé plus fort, moins émotif et donc plus raisonnable, il est définitivement plus apte que la femme, à gérer ce genre de situations… Il est à noter cependant que ce genre de postulats machistes ne sont pas spécifiques aux seuls peuples musulmans, loin de là, on les retrouve dans toutes les sociétés même celles dites les plus avancées… En France, par exemple, pays des droits de l’homme et berceau du « féminisme », le parlement est composé à 89 % d’hommes et la lutte des femmes pour l’égalité politique a encore un long chemin à parcourir[v].

Néanmoins, il reste vrai que dans notre contexte musulman, l’accès des femmes aux postes de responsabilité politique est souvent si ce n’est toujours interdit au nom de l’islam… Et il est tout aussi étonnant de voir comment la soit disant interdiction pour la femme d’accéder aux hautes sphères de gouvernance politique est justifiée islamiquement parlant par un seul hadith – un seul – qui est devenu la norme si ce n’est l’épée de Damoclès que l’on brandit sur les têtes à chaque fois que l’on soulève le sujet de la participation politique de la femme en terre d’Islam ! ! !

Il existe, en effet, un récit de la tradition prophétique, dans lequel le prophète de l’islam aurait dit« qu’un peuple ne pourrait réussir s’il est dirigé par une femme ou s’il laisse le pouvoir politique aux mains d’une femme… »[vi]

D’abord, il faudrait souligner que le contexte dans lequel ce hadith a été formulé a souvent été ignoré, ce qui ampute, de manière considérable le récit de sa véritable signification… En effet, cela se passait alors que le prophète venait d’apprendre que Chosroes empereur de Perse et ennemi invétéré des musulmans était mort et que c’est sa fille qui avait pris le pouvoir à sa place… L’empire perse de l’époque était dirigé d’une main de fer par la famille régnante qui était connue pour son despotisme sournois. Le prophète voulait par cette phrase dénigrer la fille de l’empereur du fait de l’état de guerre qui régnait entre les deux peuples et du fait aussi du régime politique autocratique qui y sévissait et non critiquer le fait qu’elle était une femme. On peut, à ce niveau, poser le problème autrement : Le prophète aurait-il glorifié la prise de pouvoir de l’empire perse si c’était le fils et non la fille de Chosroes qui lui avait succédé ? Il est évident que non… Le prophète critiquait la nature du pouvoir et tout le système politique de l’empire perse de l’époque ! Cependant, il est malheureux de constater, qu’une certaine lecture religieuse profondément misogyne a perçu, à travers ce hadith, la nécessité absolue d'imposer la nomination d’un homme pour tout poste de responsabilité politique…

Il est intéressant de rappeler ici que, Abû Bakra[vii], narrateur du hadith, va évoquer ce hadith, pour la première fois, dans un contexte historique aussi particulier que celui dans lequel il a été énoncé par le prophète !

En effet, l’histoire de la tradition rapporte que Abû Bakra va se « remémorer » ce hadith lors de la célèbre bataille du chameau dans laquelle vont se confronter les alliés de Aisha et ceux de Ali Ibn Abî Taleb[viii]. Abû Bakra lui-même allié du clan de Aisha, va justifier ainsi son refus de participer à la bataille du fait que c’était Aisha, en tant que femme, qui dirigeait l’action politique ! Abû Bakra a donc fait le lien entre le hadith qu’il avait entendu du prophète et le contexte du conflit qui opposait Aisha à l’Imam Ali et qui s’est malheureusement transformé en tragédie[ix].

Ayant interprété ce hadith littéralement, il considérait illicite toute participation à une action dirigée par une femme même si dans ce cas-là il s’agissait de Aisha qu’il tenait en très haute estime selon certaines sources islamiques[x].

Il est important de noter à cet égard et concernant cet épisode politique, que le justificatif argué par Abû Bakra, ne sera repris par aucun des grands compagnons du prophète de l’époque qui eux vont s’abstenir de participer à la bataille du chameau pour d’autres considérations…

Alors que le prophète a critiqué une représentation politique du fait de son autoritarisme, Abû Bakra a compris comme vont le faire la plupart des savants après lui, que c’est toute représentation politique de la femme qui devait être interdite.

Les générations suivantes de savants vont finir par « insérer » ce hadith dans le registre des recommandations en faveur de l’interdiction de toute participation politique de la femme alors que le prophète n’a jamais recommandé quoique ce soit en la matière. Le prophète faisait simplement un constat de la situation politique perse de l’époque et toute l’instrumentalisation que va connaître ce hadith s’est faite en marge du contexte dans lequel il a été formulé et dans le but avéré de récuser toute participation politique des femmes[xi].

D’autre part, certains penseurs, notamment contemporains, affirment que ce hadith étant considéré comme un simple « hadith Ahad » – hadith rapporté par un seul narrateur – il ne devrait logiquement pas être pris comme source de législation[xii].

L’interprétation donc de ce hadith va avoir l’avenir florissant que l’on connaît avec son corollaire de « justificatifs » dont le plus en vogue reste celui de la « faiblesse structurelle » des femmes… Les savants interdiront aux femmes l’accès à toute responsabilité politique du fait de cette supposée« structurelle faiblesse» qui les rend dans l’incapacité morale et intellectuelle à gérer les affaires d’Etat ! ! ! Les femmes seraient plus « faibles » du fait de leur constitution physique et de leur propension biologique à tout concevoir sur le plan passionnel ce qui les rend le plus souvent « irrationnelles ». On confond ici prédisposition émotionnelle avec capacités intellectuelles or il y a une grande différence entre dire que la femme à une prédisposition à plus de sensibilité et d’affectivité, ce qui en aucun cas ne constitue une tare et prétendre qu’elle soit handicapée par cela ! ! Une femme neurochirurgienne qui opère chaque matin afin d’extirper des tumeurs cérébrales chez les « hommes »serait-elle incapable de maîtriser son soit disant « trop plein » émotionnel sur la scène politique alors qu’elle le fait sans problème aucun sur une table d’opération ?

Toutes ces affirmations en plus d’être erronées et injustifiées sont en flagrante contradiction avec les principes coraniques… Le Coran n’a jamais préconisé une quelconque « faiblesse »particulière de la femme et à aucun moment il ne stipule que l’homme est doué de plus de raison ou que la femme soit plus faible que l’homme ou qu’elle soit dépourvue de rationalité. Nulle part… Le Coran a par contre précisé que « l’être humain » en général est « faible » : « Et l’être humain a été créé faible » Coran4 ; 28… La faiblesse dont parle le Coran ici est une faiblesse liée à la création de l’être humain lui-même du fait de son incapacité à maîtriser ses pulsions négatives… Une faiblesse humaine intrinsèque à l’être humain et qui transcende le genre…

Le Coran va par ailleurs, avec cet exemple de Bilqîs, démentir toutes ces présomptions qui tendent à inférioriser la femme et à l’exclure, politiquement parlant, en érigeant une femme, au summum de la sagesse, comme une dirigeante politique démocrate, juste et habile… Infiniment plus sage donc que tous ces hommes qu’elle a consultés et qui semblent être les dignitaires de son peuple… Cependant, il est déplorable de voir comment certains anciens commentateurs musulmans ont fortement décrié le personnage de Bilqîs… Alors que le Coran parle de cette femme en des termes élogieux, respectueux et on ne peut plus clairs et précis, de nombreux exégètes vont avoir une approche très pernicieuse de ce personnage et certains d’entre eux vont même s’empêtrer dans des commentaires très longs, ardus et des fois très désobligeants !

Qui lit les différents ouvrages de tafassirs retiendra l’embarras, parfois la réticence voire des fois l’hostilité de certains exégètes devant un personnage féminin régnant sur un « trône magnifique »[xiii] et qui de surcroît fait preuve d’intelligence et de sagesse ! Il est à noter ici que le Coran décrit le trône, emblème de son pouvoir, comme magnifique, c’est dire la capacité intellectuelle de cette femme de gérer ce vaste et riche royaume avec une telle dextérité et un tel savoir faire ! ! !

Certains érudits musulmans, vont donc contourner le vif du sujet, à savoir la formidable personnalité de cette souveraine telle décrite par le Coran ainsi que ses capacités politiques, pour en faire une approche très réductrice voire des fois véritablement dévalorisante… C’est le cas d’un grand théologien des premiers temps de l’islam qui la décrit comme une « Aljatou », terme très péjoratif, qui signifie « ânesse » ou « mécréante »expression souvent utilisée pour désigner de façon très dépréciative voire insultante les non croyants… Ce savant donc s’étonne de voir des hommes se « laisser gouverner » par une Aljatou, qui en tant que femme est supposée être faible et sans raison, mais qui s’avère – à sa grande déception – plus intelligente que les messieurs – supposés être des Sages – qui l’entourent ! Il pousse la dérision jusqu’à critiquer d’une manière assez déplacée son physique de femme[xiv]. On peut se demander d’abord où est le rapport entre le physique de cette femme et ses décisions politiques, sa nature physique étant issue de la création divine ! Et comment peut-il la vilipender et déprécier tout son personnage du seul fait qu’il s’agisse d’une femme ? !

D’autres savants vont aller plus loin et finir par trouver à cette pauvre reine une ascendance de Djinns ! La mère de Bilqîs serait une Djinn voire selon certains la patronne des Djinns[xv] ! ! ! C’est qu’en l’amputant de son humanité, les commentateurs, vont être finalement rassurés sur son devenir de femme… Nul besoin de la prendre en exemple si elle n’est qu’à moitié humaine ! En lisant les commentaires attribués à l’histoire de Bilqîs on reste stupéfait devant autant de spéculations et d’histoires invraisemblables qui détournent le lecteur de la véritable dimension éducative du récit.

Ibn Kathir à la fin de son commentaire sur ces versets va presque s’excuser d’avoir eu à rapporter tant de légendes et de frasques concernant Bilqîs. Il reconnaît le côté invraisemblable d’un grand nombre de récits et d’interprétations inappropriées qui vont à l’encontre de la déférence et de la sobriété de la description coranique[xvi]

On est en droit de se poser des questions et d’essayer de se demander pourquoi ce dénigrement alors que Dieu Lui-même dans Son Coran mentionne Bilqîs en des termes très respectueux et avec une extrême délicatesse ?… En effet, l’on constate que même vis-à-vis de son idolâtrie, Dieu, ne la qualifie pas de mécréante ou d’impie mais en fait Il nous la dépeint comme étant forcée de se soumettre à la culture religieuse de son peuple et faisant partie – un peu malgré elle ! – d’un peuple incroyant ! : « C’est ce qu’elle adorait auparavant en dehors de Dieu qui l’avait empêchée de croire, car elle appartenait à un peuple de négateurs » Coran 27 ; 43.

En relisant attentivement les versets concernant Bilqîs on est étonné de voir l’énorme discordance entre les versets coraniques plein d’égards pour sa personne et les interprétations inconcevables qu’on retrouve dans les livres classiques d’exégèse. Dieu dans son saint Coran n’a eu cesse de« valoriser » l’image de cette femme, reine, non croyante, sage et acquise aux valeurs de la justice… On perçoit aussi, à travers le portrait qu’en fait le texte sacré et tout au long de la narration divine, l’aptitude émotionnelle et spirituelle de cette femme qui finalement a été très sensible au message du prophète Salomon… Elle a du sûrement discerné dans ce message les prémices de cette Vérité qu’elle a toujours recherchée du plus profond de son âme… Dieu a voulu sciemment nous embellir l’image de cette femme non croyante afin que nous l’appréciions encore plus une fois convertie à la fois du Dieu Unique ! !

D’autre part, le message coranique est ici on ne peut plus clair quant à l’importance qu’il donne à la consultation du peuple gouverné et aux valeurs d’éthique et de justice dont doit faire preuve le gouvernant… Bilqîs, reine et femme, a symbolisé parfaitement ce profil de chef – d’état à l’antipode des pouvoirs despotiques que le Coran n’a eu cesse de dénoncer tout au long de son message… On peut remarquer d’ailleurs en passant que dans le Coran ces pouvoirs autoritaires sont symbolisés dans presque tous les cas par des dictateurs hommes ! Il semblerait qu’elle soit d’ailleurs le seul personnage politique doté d’unetelle autorité et qui fut érigé en « modèle » à proprement parler dans le Saint Coran. Un modèle donc de gestion du politique pour tous les hommes et toutes les femmes.

Il est intéressant de signaler aussi la forte personnalité de cette femme qui une fois convaincue de la sincérité de Salomon et de la véracité de son message, a solennellement annoncé sa soumission au Créateur avec certes beaucoup d’humilité mais aussi avec une grande dignité. En effet le Coran rapporte ainsi ses paroles : « Seigneur, dit-elle, je me suis fait du tort à moi-même ; et avec Salomon, je me soumets à Dieu, le Maître de l’Univers » Coran 27 ; 44.

C’est avec Salomon – et non pour lui – qu’elle se soumet au Dieu de l’Univers ! Avec lui ! De manière à ce que la dévotion à Dieu se fasse dans l’égalité la plus spontanée et la liberté la plus profonde… Elle a été certes émerveillée par les pouvoirs magiques du roi Salomon et de ses capacités étonnantes mais elle était consciente que toutes ces aptitudes étaient des dons de Dieu et à vrai dire c’était plutôt le prophète et son message spirituel qui ont gagné son cœur…

L’histoire raconte que Salomon et Bilqîs se marièrent[xvii]. Rien ne peut confirmer ce fait… Cependant on voudrait bien y croire ! Rien d’étonnant aussi si ces deux êtres ont eu de l’admiration l’un pour l’autre !… N’étaient-ils pas épris l’un et l’autre des valeurs de justice et de probité ? N’était ce pas la soumission au Créateur de ce monde qui les a tous deux réunit ? C’est une très belle leçon d’amour et d’intelligence que nous a offert ici le Coran à travers ce personnage féminin… Personnage, qui n’a décidément rien à voir avec ce que de nombreux exégètes nous ont malheureusement rapporté…

  • [i] Le Coran ne mentionnera nulle part le nom de Bilqîs.
  • [ii] Le Noble Coran, nouvelle traduction française du sens de ses versets, par Mohammed Chiadmi, Editions Tawhid, 2004, Notes de bas de page de la sourate 27, verset 23. ( la majorité des versets en français citées dans cet ouvrage ont été repris de cette traduction)
  • [iii] Al Kachaf ; 3 ; p 375
  • [iv] Sayd Qotb : Fidilal al Qur’an ; Sourate Annaml . Est-il nécessaire de remarquer que cette intuition féminine n’est pas toujours évidente et que le modèle féminin n’est pas forcément un modèle de paix et de douceur ?! C’est le cas de celle que l’on avait surnommée « la dame de fer » Mme Margaret Tatcher ou plus récemment celui de la secrétaire d’état américaine Mme Condolezza Rice très en faveur des « guerres préventives » !!
  • [v] Site internet du parlement français : 502 hommes et 75 femmes… Lire à ce propos « Vol au dessus d’un nid de machos » qui raconte les « déboires » des femmes dans l’échiquier politique français : Régine Saint-Criq et Nathalie Prévost, Albin Michel ;1993, Paris .  
  • [vi] Hadith transmit par Abu Bakra, rapporté par Boukhari, Athirmidi, Annissaii et l’Imam Ahmed, non répertorié par Muslim.
  • [vii] De son vrai nom : Nufaii Ibnou Al Harith, il fut surnommé  Abu Bakra après sa conversion à l’islam.
  • [viii] Asmaa Mohamed Zyada, dawr al maraa assiyassi fi ahdi annabi wa al khulafaa arrachidine, éditions Dar Assalam, 2001, p 485, en arabe.
  • [ix] Voir les détails de cette bataille dans notre essai : « Aisha épouse du prophète où l’islam au féminin » ; Editions Tawhid.
  • [x] Voir  tous les commentaires concernant Abu Bakra dans le recueil de Alhaytami ; Majmaa azawaid wa manbaa el fawaid ; p209 ; vol5.
  • [xi] Pour plus de détails voir  Fatima Mernissi :  « Le harem Politique » Le prophète et les femmes, chapitre : Enquête sur un hadith misogyne et sur son auteur, Abu Bakra, Albin Michel, 1987, Paris.
  • [xii] Heba Raouf Izaat : article in Women and the interpretation of islamic sources; www.crescentlife.com.
  • [xiii]« walaha moulkoun adhim” elle avait un trône magnifique, c’est ainsi que le Coran la décrit.
  • [xiv] Tafssir Ibnou Kathir ; Dar Al Koutoub Al Ilmya, Liban ; 2007, p 339 ; le savant en question est Hassan Al Bassri cité par Ibnou Kathir .
  • [xv] Tafssir Ibnou Kathir, rapporté par Kutada, Zouhair Ibn Mohammed, ainsi que dans le commentaire coranique de Al Qortobi…
  • [xvi]Voir fin du commentaire d’Ibn Kathir dans son tafssir.
  • [xvii] Fait très controversé ; pour Attabari ; c’est plutôt Salomon qui la maria à un notable.

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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